A propos du traitement des données documentaires dans la recherche en DLC


Un étudiant m'a posé tout récemment, via mon site, une question à laquelle j'ai déjà eu à répondre à plusieurs reprises par le passé. D'où l'idée de mettre les contenus de ma réponse dans ce billet de blog, avec, sur la page de téléchargement du chapitre 5 de mon cours "Méthodologie de la recherche en DLC" consacré aux méthodes de recherche, un renvoi vers ce billet.

La question de cet étudiant était la suivante:

 

J'ai choisi de suivre votre méthodologie de traitement des données, mais il y a beaucoup de questions qui m'intriguent. Notamment quand on travaille sur un corpus assez varié (discours, manuel scolaire, vidéos, questionnaires ..), je me demande quelle analyse pour quel type de données ?

 

"Ma" méthodologie de traitement des données, c'est sans doute, pour cet étudiant, celle que j'expose au chapitre 5 de mon cours de méthodologie de la recherche, chapitre intitulé "Mettre en œuvre ses méthodes de recherche", et plus précisément dans les deux sous-chapitres suivants:

  • 2.1.2 L’analyse documentaire
  • 2.5.2.1 La méthode qualitative

Pour ma part, j'utilise sur tous les documents supports de mes recherches, produits par d'autres pour par moi moi-même (articles de didacticiens, programmes officiels, manuels, notes d'observations de classe, réponses à des questionnaires d'enquête, entretiens, etc.) la seule et même "méthode qualitative" telle qu'elle est décrite par Huberman et Miles au sous-chapitre 2.5.2 de ce chapitre 5). A quoi cela correspond-il concrètement ? :

Avec bien en tête (ou mieux : sous les yeux) les hypothèses et questions de recherche que l'on a préalablement élaborées dans sa "problématique de recherche", on lit  et relit chacun de ces documents le crayon à la main (ou le clavier sous les doigts...) pour repérer et noter tous les passages qui nous semblent avoir rapport avec nos hypothèses et questions de recherche: on note seulement l'idée, ou on copie la citation exacte si elle nous paraît très illustrative, mais dans tous les cas on prend bien soin de référencer le document : ce sont toutes ces notes qui constitueront nos "données" personnelles (cf. ci-dessous), que nous allons ensuite regrouper, réorganiser, lire et relire pour qu'émergent progressivement nos analyses). Il est utile d'ajouter aussitôt à chaque note un petit commentaire, même en style télégraphique, pour expliquer pourquoi elle nous a paru intéressante: il est fréquent, sinon, de se demander, dès le lendemain, pourquoi diable on a noté telle idée ou copié telle citation...

 

On lit et on relit ensuite ces notes, reclassées préalablement avec d'autres venant de la lecture d'autres documents, par thématiques plus ou moins larges, pour voir ce qui en "ressort": c'est là que nous effectuons l'opération  de "condensation" définie Huberman et Miles (voir mon chap. 2.5.2.1: ces auteurs regroupent sous cette appellation la "sélection, centration, simplification, abstraction et transformation" des données recueillies). Il faut le faire à plusieurs reprises, espacées de quelques semaines: le travail intellectuel demande certes de la concentration, mais en même temps de la durée et de la répétition. Un chercheur à qui ses étudiants demandaient ce qu'il fallait faire quand on était bloqué dans une recherche avait répondu : "laisser infuser davantage". On voit la métaphore: c'est celle du sachet de thé ou de tisane qu'on laisse tremper dans l'eau chaude, pour qu'elle y diffuse lentement son parfum. Rien ne sert de le presser aussitôt dans l'eau: il faut déjà qu'il s'en imbibe, avant, à l'inverse, d'y diffuser son parfum... L'eau chaude, ce sont nos notes; l'imprégnation (ce qui correspond à "s'imbiber", ce sont nos lectures relectures de ces notes (pour accélérer le processus, on réorganise différemment ces notes, comme on agite le sachet...), la diffusion, ce sont nos analyses de ces notes, qui vont leur donner un sens qu'elles n'avaient jamais eu ensemble (voir à ce propos le dernier paragraphe de ce billet).

Pour être capable de repérer ce qui nous intéresse,  de trouver des données qui nous apparaissent comme intéressantes, il est indispensable d'avoir préalablement défini ses questions de recherche et ses hypothèses, c'est-à-dire sa problématique de recherche (cf. Chap. 4: "Élaborer sa problématique de recherche"). Si on n'a pas encore élaboré cette problématique, autrement dit si on ne sait pas ce que l'on veut chercher, forcément, on n'aura rien à trouver dans ces documents,  rien à noter...

Si l'on ne voit rien à noter dans un document, par exemple un article, c'est peut-être parce qu'il n'est pas du tout pertinent par rapport à notre thématique de recherche, mais ça peut être aussi parce qu'on n'a pas encore clairement élaboré sa propre problématique.

Si on lit un article dont le titre a un étroit rapport avec sa problématique, en particulier où se trouvent plusieurs de ses "concepts clés spécifiques" (cf. le sous-chapitre 2.2. du chapitre 5 de "Méthodologie de la recherche") et qu'on n'y voit rien d'intéressant, c'est soit que l'auteur est très mauvais (mais il ne vaut mieux pas partir sur cette hypothèse, surtout s'il s'agit d'un auteur connu, ou du moins si l'article a été publié dans une revue à comité de lecture...), soit, plus vraisemblablement, que sa propre problématique est mal élaborée, ou pas encore assez "mûre"... Sur tous ces articles portant sur sa thématique de recherche, il peut être efficace de faire une recherche automatique de chacun des mot-clés de toute recherche, ses "concepts génériques", et plus encore sur chacun des "mots-clés spécifiques", ceux propres à sa thématique de recherche.

Au bout d'un certain moment de va-et-vient entre lectures, notes et relectures des notes (il faut avoir constamment ses hypothèses et questions de recherche sous les yeux, parce qu'on a tendance à les oublier rapidement), on se rend compte qu'aucune idée nouvelle ne nous apparaît dans les documents, qu'on a déjà rencontré toutes ces idées : on dit alors que sa recherche est "saturée", c'est-à-dire qu'il n'y a plus grand d'espoir de trouver autre chose (en tout cas à partir de la problématique telle qu'elle a été pour l'instant élaborée). On peut alors reprendre les résultats de la recherche pour les mettre en forme par écrit, ou les articuler avec d'autres résultats obtenus par ailleurs avant cette mise en forme.

Comme je l'ai écrit dans le sous-chapitre 1.2. du chapitre 4 de "Méthodologie de la recherche", une recherche est un "processus", c'est-à-dire qu'il y a de la récursivité entre ses différentes activités: le travail sur les données peut nous amener à enrichir voire modifier sa problématique de recherche (la recherche est un processus, c'est-à-dire qu'il y a ce type de récursivité). Mais de même qu'il faut savoir arrêter ses lectures et analyses (décider que la recherche est suffisamment "saturée"), il faut savoir aussi "arrêter" sa problématique, dans le sens où on fixe définitivement ses hypothèses et questions de recherche.

Les idées très intéressantes que l'on trouvera à côté de sa problématique, on pourra toujours les noter, pour voir celles qu'il serait possible de "recycler" en toute fin de conclusion générale, lorsqu'il s'agira d'ouvrir sa recherche vers des prolongements possibles.

Une recherche active, c'est une recherche où on ne contente pas de lire tous ses documents supports. On prend des notes, on relit ces notes de temps en temps, et, grâce à l'informatique, on les copie (il vaut mieux laisser toujours les originaux dans le même document initial de sa prise de notes, pour être sûr de retrouver les références), on les colle avec d'autres, on réorganise à plusieurs reprises ces nouveaux ensembles de notes jusqu'à ce qu'une logique de progression argumentative apparaisse. Pour prendre une métaphore culinaire : c'est de cette "cuisine" personnelle que la recette d'un "plat" original (votre recherche personnelle) pourra émerger, même si tous ses ingrédients sont déjà bien connus séparément, ou dans d'autres recettes...

 

Christian Puren