À propos de la "classe inversée" dans l'enseignement secondaire des langues


Ordre chronologique des contributions

 

Pour des raisons techniques, les différentes contributions à ce blog n'apparaissent pas sur cette page, de haut en bas, dans leur ordre chronologique de publication. L'ordre chronologique est le suivant :

 

1. "À propos de la classe inversée dans l'enseignement scolaire des langues" : contribution initiale de Christian PUREN.

2. "Addendum en date du 17 février 2016": contribution de Christian PUREN.

3. "La dernière trouvaille" : contribution de Michel MOREL.

4. "Héloïse" : contribution d'Héloïse DUFOUR en tant que Présidente de l'association "Inversons la classe !" (réaction à la contribution de Michel MOREL).
5. "Christian Puren" : réaction de Christian PUREN à la contribution d'Héloïse DUFOUR.
6. "Second addendum en date du 3 avril 2016" : contribution de Christian PUREN.
7. "Mohamed Souali" : contribution de Mohammed SOUALI, EMFE langue, EEFE Tunisie.
8. "La 'classe inversée' dans l'enseignement des langues, une innovation 'réactionnaire'" : contribution de Christian PUREN.

9. "Constat : la 'flipped classroom' ne convient pas à tout le monde (compte-rendu d'une interview de Vincent FAILLET sur le site nouvvousils.fr en date du 7 avril 2017), contribution de Christian PUREN.

10. "La pédagogie inversée : une pédagogie archaïque" : compte-rendu par Christian PUREN d'un article avec ce titre publié le 22 juin 2017 par deux professeurs de Sciences économiques et sociales dans la revue en ligne Skhole.fr.

11. "Références de deux contributions [Héloïse DUFOUR et Daniel THERRIEN] sur le site de Thot Cursus, avec citations, et commentaires personnels": contribution de Christian PUREN en date du 27 septembre 2017.

12. "Innovation et réaction en didactique des langues-cultures : la carte et le territoire": contribution de Christian PUREN en date du 18 février 2018.

13. "Classes inversées et MOOC, révolution copernicienne dans l’enseignement… vraiment ?": extrait commenté de cet article de Charles HADJI sur le site theconversation.com.

14. "Référence d'une nouvelle contribution": Paul Devin, "Les leurres de la classe inversée" (13 février 2016).

 

J'ai pu renommer les contributions que j'ai moi-même ajoutées à cette page (qu'elles soient de moi ou d'un autre auteur), mais non celles qui ont été ajoutées directement au moyen de la fonction "Écrire commentaire" : ce sont  les contributions n° 4, 5 et 7, que l'on trouvera tout en bas de la présente page.

 

Je m'en excuse auprès des contributeurs et des lecteurs.

 

Christian PUREN

 

P.S. Les lecteurs pourront aussi consulter mon billet de blog intitulé "La 'classe inversée' à l'université comme moyen d'y amorcer le changement pédagogique", publié le 23 décembre 2014, et qui a aussi donné lieu à un échange.


Remarque : Les commentaires sur cette page sont modérés a priori, mais seulement pour éviter les interventions qui n'ont rien à voir avec la thématique en question, ou, pire, les spams.

Pour tout autre sujet que la classe inversée (et il y en a bien d'autres!...), le lien "Me contacter" est disponible en permanence dans la barre de navigation du site, ou mon adresse contact@christianpuren.com. Les messages envoyés de l'une et l'autre manière me parviennent directement, et ne sont pas visibles sur le site.

Merci de votre compréhension.

Christian Puren


1. À propos de la "classe inversée" dans l'enseignement secondaire des langues
La "classe inversée" suscite de grands espoirs chez certains : des journées et même des semaines lui sont désormais consacrées... : voir par exemple la présentation qui est faite dans Le Café Pédagogique Mensuel, Édition pédagogique n° 167 de janvier 2016. Elle mériterait donc assurément un analyse didactique bien plus détaillée que les quelques remarques ponctuelles auxquelles je vais pour l'instant me limiter ici.
1. Il faut veiller à ce que la démarche d'autonomie qu'implique la classe inversée ne crée pas d'emblée une discrimination entre les élèves plus avancés, plus autonomes, plus motivés, voire tout simplement disposant de bonnes conditions de travail hors de l'école... et les autres. Le danger me semble d'autant plus grand que ce travail autonome se situe en début de séquence, avant même que le professeur puisse apporter son aide et son guidage.
C'est ce danger, bien ressenti par certains praticiens, qui fait que la démarche qu'ils proposent pour les apports préalables à la séquence de classe soit très guidée sur des contenus très simples (i.e. plus simples que ceux prévus dans la progression du cours). Certes, le danger mentionné ci-dessus est ainsi écarté, mais du coup disparaissent deux des trois éléments a priori intéressants de la classe inversée, qui sont (a) de réduire voire supprimer la partie purement transmissive du cours en présentiel, et (b) d'offrir aux élèves un espace d'entraînement à l'autonomie individuelle (comparable à ce qui est proposé dans l'open learning anglais ou l'offenes lernen allemand). La classe inversée tend à se réduire, lorsque la démarche est ainsi guidée sur des contenus ainsi réduits, à une sorte de révision initiale, qui ne peut déboucher au mieux que sur une évaluation diagnostique. Elle n'entraîne pas alors une modification voire une remise en cause des pratiques habituelles.
2. Le troisième intérêt possible de la classe inversée est (c) de créer mécaniquement en classe, pour toute nouvelle séquence, un dispositif nouveau, différent du dispositif habituel, du fait des deux éléments cités ci-dessus. Mais en classe, la classe inversée s'arrête à la création de ce dispositif, qui doit alors être aménagé par le recours aux orientations pédagogiques et didactiques pertinentes, en particulier les pédagogies de groupe, différenciée, de contrat et de projet, ainsi que, pour les langues, les différentes configurations disponibles (voir en "Bibliothèque de travail" le document 052). L'après-séquence de classe, avec les éventuelles productions des élèves, l'évaluation et la remédiation, ne font pas non plus partie intégrante de la classe inversée.
La classe inversée, c'est un dispositif, constitué lui-même de deux dispositifs reliés : celui d'avant la classe, et celui de la classe. La classe inversée n'est en elle-même ni une pédagogie, ni une didactique. Par contre, elle est une occasion de relancer les interrogations et expérimentations pédagogiques et didactiques sur les réponses, forcément plurielles et complexes, à apporter aux questions que pose l'enseignement-apprentissage.
Ce n'est déjà pas si mal, et c'est la raison pour laquelle j'ai écrit sur ce site il y a déjà quelque temps (le 23 décembre 2014) un billet de blog intitulé "La 'classe inversée' à l'université comme moyen d'y amorcer le changement pédagogique", auquel on pourra se reporter.
Christian PUREN

2. Addendum en date du 17 février 2016

 

Je viens de lire, dans un article de Delphine Dauvergne,   "Portrait d'université. Rouen attrape la fibre numérique", publié il y deux jours sur le site educpros.fr, le passage suivant:

 

(...) Vincent Roy, enseignant-chercheur en neurosciences. Depuis une dizaine d'années, il met son cours et des outils de révision sur son blog et a participé activement au développement de la plateforme Moodle de l'université, intégrée en 2009. 
 "Par le biais de la plateforme nous pouvons voir ce qui n'a pas été compris, car les étudiants n'osent pas, notamment lorsqu'ils sont nombreux, poser des questions. L'étape suivante serait de travailler en pédagogie inversée, mais pas en L1, car cela demande de la maturité", déclare Vincent Roy.
 
Je souligne : la "L1", ici, c'est la première année de licence à l'université !... Voilà qui suggérerait fortement qu'il faudrait prendre des précautions, et surtout soumettre le dispositif à une évaluation rigoureuse, quand on le met en œuvre avec des élèves de collège et de lycée... voire du primaire, comme j'ai même pu le voir proposer (cf. le point 1 de mon billet)...
Certaines universités et grandes écoles (l'ESSEC en France, par exemple) expérimentent un dispositif qui va encore plus loin dans les "méthodes actives", puisqu'elles proposent aux étudiants de créer eux-mêmes certains cours : il est difficile d'imaginer, à vrai dire, comment on pourrait aller plus loin. A éviter certainement au primaire... : même Célestin Freinet n'y a pas pensé, qui s'est "contenté" (si on peut dire...) de proposer que les activités et productions à partir desquelles l'enseignant va enseigner soient celles choisies et initiées par les élèves eux-mêmes.
Christian PUREN

3. "La dernière trouvaille". Contribution de Michel Morel au débat sur "la classe inversée"

 

Michel Morel, didacticien des langues-cultures bien connu, en particulier des membres de l'APLV, des lecteurs des Langues modernes et des italianistes de l'enseignement scolaire français, souhaitait réagir à ce billet sur "la classe inversée", mais son commentaire dépassait la taille imposée de 500 caractères. Je lui ai donc proposé de le publier moi-même en tant qu'ajout au texte du billet, comme l'Addendum ci-dessus, tout en lui conservant sa forme originelle.

 

L'espace des "commentaires" - voire s'il le faut, comme ici, celui du billet lui-même - sont disponibles pour les collègues souhaitant participer à ce débat.  Ce débat dépasse, comme Michel Morel et moi le rappelons, le cas de la "classe inversée", parce que celle-ci interroge, comme chaque innovation ou perspective d'innovation (c'est aussi actuellement le cas des neurosciences et de la "neuroéducation"), la conception que nous nous faisons du progrès dans notre discipline. J'ai écrit il y a bientôt 20 ans dans Les Langues modernes (n° 2/1997, pp. 8-14) un texte qui me semble toujours d'actualité, "Que reste-t-il de l'idée de progrès en didactique des langues ?" (republié sur le site de l'APLV et sur mon site)... Il est lui aussi ouvert au débat.

Christian Puren

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Cher Christian,

 

Merci de suivre l'actualité et de mettre généreusement à notre disposition tes analyses, tes articles et tes cours.

 

Ainsi, après les îlots bonifiés, les Mooc, FLOT ou COM… voici donc la dernière trouvaille : "la classe inversée".

 

Ce qui est stupéfiant et irritant à la fois, c'est, comme tu l'as dit souvent, cette reprise des mêmes réflexes à chaque "nouvelle" technologie, démarche ou approche : on affirme avoir enfin trouvé LA solution à tous les problèmes pédagogiques et l'on essaie de convaincre le plus grand nombre de l'adopter – de quelle façon ! –, voire de l'imposer, en cherchant, parfois en les trouvant, des soutiens institutionnels, en renvoyant naturellement au musée de la ringardise tout ce qui a précédé.

 

En septembre 2015, pour répondre à une collègue qui demandait sur un forum de professeurs d'italien en quoi consistait cette "classe inversée", avaient été signalés un certain nombre de liens.  J’avais suivi ces liens, et d'autres. Je répète et complète ici les quelques remarques que j'avais faites.

 

Cette « pédagogie », à laquelle on a sûrement raison de s’intéresser, n'est pas vraiment nouvelle. D'abord, l'expression "classe inversée" remonte aux années 20 et la "pédagogie inversée" a commencé à être mise en œuvre aux États-Unis il y a une dizaine d'années, à l'université puis aux autres niveaux d'enseignement. Ensuite, parce que ses fondements théoriques ne sont pas nouveaux, comme tu l'as montré. Mais ce qui serait nouveau, c’est sa mise en œuvre systématique et exclusive dans le secondaire (voire dans le primaire ?), contre laquelle, d’ailleurs, une collègue, agrégée d'espagnol, chargée de missions d’inspections » [sic], met en garde sur le site de l’académie de Poitiers : "il faut donc faire 'mieux' avec les mêmes moyens et éviter tout caractère systématique de l’approche."

 

Ensuite, j’ai été frappé par la grande confusion et les contradictions des présentations de cette « pédagogie ». Cette collègue chargée de mission, par exemple, dit des choses étonnantes et contradictoires (je souligne) :

 

Externaliser, c’est élargir l’espace de travail, faire que la maison, le CDI ou la salle de permanence deviennent une annexe de la salle de classe, dédiée à la recherche, à la réflexion, à la construction des savoirs et à l’exposition à la langue. La salle de classe sera alors le lieu des apprentissages, de la production orale, de la confrontation des idées et également de l’exposition à la langue.

 

À comparer avec ce qu’elle disait plus haut : "Ainsi l’espace et le temps se trouvent modifiés : les apprentissages sortent de la salle de classe". L’ensemble de l’article est d’une grande confusion, au point qu’on a du mal à comprendre sa démarche.

 

Je n’ai pas trouvé plus clair l’article intitulé "La pédagogie inversée : 'faire passer la théorie hors classe et pratiquer en cours'", où l'on trouve cette définition : "la pédagogie inversée consiste à faire passer les contenus les plus théoriques hors classe pour que les moments de cours servent à vérifier l’acquisition des connaissances théoriques à travers la pratique." Alors le cours ne servirait-il plus qu'à évaluer ? Non, tout de même pas ; l'auteur précise plus loin : "La classe doit permettre aux apprenants de mettre en pratique ce qu’ils apprennent." Que fait le professeur ? On comprend qu'il évalue, mais pour le reste, on ne sait pas, il n'est même pas dit qu'il met en ligne ses cours : "Les technologies nous permettent d’avoir facilement accès à tout type de documents et le professeur n’est plus le seul détenteur des savoirs de la langue-cible." Heureusement, l'auteur déclare ne pas être « un pur expert de la question » et qu'il se « contente d’en parler" [sic]. Il ne craint pas lui non plus d'écrire des choses étonnantes, en alignant les poncifs et les sottises comme on enfile les perles :

 

Dans notre monde en changement, où nous sommes ici aujourd’hui et demain à l’autre bout de la planète, nous devons être capables de faire de l’apprentissage des langues un véritable outil, je dirais presque une arme, pour relever les nouveaux défis qui se présentent à nous.

 

Globalement, après avoir exploré un peu tous les sites indiqués, j’ai eu un peu l’impression d’avoir lu tout et son contraire, mais souvent les mêmes postulats : "les apprenants ne peuvent plus continuer à apprendre comme il y a 20 ans" (site cité ci-dessus) , ou bien, sur cet autre site, "ces technologies sont excellentes pour attiser l’intérêt des jeunes", ou ce qui finit par le devenir à force de ne pas être démontré : "C’est en délaissant la transmission passive du savoir en frontal, et en laissant à chacun, en dehors de la classe, le temps qui lui est nécessaire pour préparer la prise de parole que nous développerons leur motivation, leur autonomie et leur sens critique. Nous formerons ainsi des citoyens non pas à la 'tête bien pleine' mais à la 'tête bien faite'" (ici) ; ou bien encore ici : "Pour les enseignants, externaliser la partie magistrale du cours permet d’éviter le côté lassant et répétitif de l’enseignement. Les interactions avec les élèves permettent un cours beaucoup plus vivant et personnalisé."

 

Mais j'ai aussi été frappé par les appels aux allures de slogans, voire d’injonctions :

 

- "Rejoignez la révolution de la classe inversée."

- "Inversons la Classe !" [sic]

- La pédagogie inversée : bouleversons nos manières d’enseigner ! »

 

"Inversons la Classe !" est également le nom d’une association. Sur la page d’accueil de son site, on lit cette chose stupéfiante :  "Le modèle de la classe inversée est particulièrement propice à l'utilisation du numérique…" Allez, pendant qu’on y est, inversons aussi moyens et objectifs ! On me dira que ça tombe bien : il faudra bien les utiliser ces tablettes achetées pour les collégiens à coups de centaines de millions (un milliard d’euros sur 3 ans, nous dit Le Monde) !

 

À ce propos, je conseille de lire la conclusion de l’étude de l’OCDE et à examiner le tableau qui l'accompagne :

 

L'exposition des élèves aux nouvelles technologies à l'école varie sensiblement entre les pays. Toutefois, l'utilisation des TIC ne semble pas être un facteur déterminant pour expliquer la variation de la performance des élèves en maths, en compréhension de l'écrit et en sciences. La plupart des pays ayant consenti d'importants investissements dans les TIC dans l'éducation n'ont pas enregistré d'amélioration notable des résultats de leurs élèves au cours des 10 dernières années.

 

J'invite aussi à lire cet article édifiant de VousNousIls.fr : "Pas d’ordi à l’école pour les enfants des cadres de Google ou d’eBay" et celui-ci : "Les enfants de la Silicon Valley pionniers malgré eux". Je n'affirmerais pas que ces parents ont raison, ni qu'ils ont tort, mais cela incite à réfléchir, non ?

 

Le galimatias employé pour convaincre (convertir ?) le futur adepte (prosélyte ?) est souvent du niveau de "Vu à la télé", "Tout le monde en parle", "Pourquoi pas vous ?", avec l'habituel recours aux témoignages enthousiastes (y compris sur les sites institutionnels, par exemple celui-ci), où l’on fait pourtant, comme ici, des bilans qui ne sont guère convaincants :

 

Au final, cette expérience d’une année de classe inversée fut extrêmement enrichissante, un professeur ravi, des élèves qui paraissent convaincus et en progrès. L’année prochaine sera une année d’améliorations, de corrections mais surtout pas de retour en arrière.

 

Ainsi, le ressenti du professeur, ou ses impressions tiennent lieu d'évaluation, comme dans la conclusion de cette interview publiée sur le Café pédagogique : "J'ai l'impression que la classe inversée est plus efficace."

 

Un article signalé sur le site du CNDP, plutôt clair par ailleurs, dit ceci :

 

La classe inversée exerce un attrait indéniable sur les enseignants qui souhaitent diversifier leurs approches pédagogiques et tenter de nouvelles expériences avec leurs élèves. Il semble cependant nécessaire de bien comprendre en quoi cette approche offre des bénéfices réels, alors que peu de recherches scientifiques ont démontré son efficacité à l’aide de données probantes…

 

Comprenne qui pourra ! Et si des recherches scientifiques ont "démontré" l'efficacité de cette approche, même si elles sont peu nombreuses, nous dit-on, pourquoi ne les cite-t-on pas ?

 

Encore une fois, on affirme sans rien démontrer, sans véritable expérimentation. J'ai eu plusieurs fois l'occasion de dire, sur le site de l'APLV ou dans Les Langues modernes ("L'évaluation en langues au baccalauréat", "Entretien avec un IA-IPR", 1/2015, p. 67), que je ne connais pas d'expérimentation valable dans l'Éducation nationale et d'expliquer pourquoi.

 

En réponse à ceux qui veulent "bouleverser", "révolutionner", je rappelle ton article, Christian, intitulé "La perspective actionnelle, dernière mode officielle avant la prochaine ?", qui peut concerner toutes les modes, y compris celle de la "pédagogie inversée".

 

Je copie-colle le début de la partie 3 :

 

3) Une conception erronée de l'évolution des méthodes d'enseignement

Cette conception est fondée sur deux éléments reliés entre eux. Ce sont :

 – l'idéologie scientiste du progrès continu, qui fait considérer ce qui est nouveau comme étant de ce fait même et en soi meilleur que ce qui est ancien ;

– et le paradigme d'optimisation-substitution : on recherche le meilleur dans l'absolu, de sorte que si l'on est persuadé d'avoir trouvé quelque chose de mieux (et ça l'est lorsque c'est nouveau...), on considère que cela doit forcément remplacer ce qui se faisait auparavant.

 

Et pour terminer tout à fait, sur une note humoristique à la manière du Canard enchaîné, je colle une noix d'honneur à cette affirmation tirée d'un article déjà cité : "Les élèves étant en activité permanente, si le volume sonore est plus élevé du fait du travail en groupes, ils sont beaucoup moins susceptibles de perturber le déroulement de la classe."

 

Amitiés, Michel


6. Second addendum en date du 3 avril 2016

 

Sur cette question de la classe inversée, on lira aussi avec profit le compte rendu d’une expérimentation récente, signalé dans l’Expresso du Café pédagogique en date du 22 mars 2016 :


NIZET Isabelle, MEYER Forian, « Inverser la classe : effets sur la formation de futurs enseignants », Revue Internationale de Pédagogie de l’Enseignement Supérieur (RIPES), 32-1, 2016.


Cet article rend compte d’une expérimentation de classe inversée réalisée avec 56 étudiants en formation initiale d’enseignants du secondaire de disciplines différentes, inscrits dans un cours de formation à l’évaluation des apprentissages à l’Université de Sherbrooke (Canada). Les contenus théoriques avaient été introduits dans 19 capsules vidéo « présentant des diapositives animées et commentées par la formatrice et structurées en documents de type Prezi ».

Je n’entre pas ici dans le détail des cadres théoriques, modèles et hypothèses mobilisés pour cette expérimentation, ni dans la présentation du protocole de recherche, ni dans la discussion (elle aussi très technique) des résultats obtenus par enquête auprès des étudiants et par entretiens avec l’enseignante confrontée à 20 séquences vidéo filmées dans ses cours avec ces étudiants. Je me limiterai ici à relever les quelques points qui me semblent directement intéressants par rapport aux échanges sur la présente page de blog.

1) Parce que les étudiants ont été confrontés en auto-apprentissage aux contenus de connaissance (fournis par les capsules vidéo), ils ressentent un fort besoin, au début des cours, de faire valider par l’enseignante leurs connaissances acquises, alors que celle-ci pensait que les séquences de cours allaient pouvoir commencer immédiatement par le réinvestissement de ces connaissances. Même les forums de discussion organisés entre étudiants n’ont pu jouer leur rôle prévu de (co-)validation : pour les étudiants, seule compte en définitive la validation de l’enseignant(e).

2) Pour la même raison (l’auto-apprentissage préalable des contenus de connaissance), les différences de niveaux entre les étudiants ont un fort impact sur les acquisitions des uns et des autres à partir des capsules vidéo.

3) En conséquence, écrivent les auteurs de l’article,

 

il nous semble nécessaire de mieux planifier [en classe] des activités permettant de vérifier et d’améliorer la compréhension des connaissances de manière différenciée. À cet égard, les différences de rythme entre les étudiants et l’hétérogénéité des niveaux de compréhension sont aussi plus clairement mises en lumière dans un dispositif de classe inversée, et cela crée clairement une demande plus intense de différenciation pédagogique.


La toute fin de la conclusion de ce compte rendu porte elle aussi sur le constat de la même forte exigence de différenciation pédagogique :


Enfin, si ce dispositif de classe inversée nous a certainement permis de résoudre le problème initial d'accompagnement des apprentissages procéduraux, la gestion de classe semble donc devenir un nouveau problème, généré par l'approche inversée, et nous ne voyons pas d'autre solution que de planifier une gestion qui soit - en alternance - centralisée et décentralisée à partir d'un plan d'apprentissage commun dont les objectifs pourraient être atteints par les étudiants de manière différenciée dans le temps, voire dans l'espace. Reste à savoir comment ce projet s'inscrirait dans un cadre institutionnel.

 

Je ne vois pas comment il pourrait en être autrement dans l'enseignement secondaire français des langues vivantes étrangères, avec des élèves dont tous les constats soulignent depuis longtemps la très grande hétérogénéité. La mise en place du dispositif de la classe inversée, qui consiste dans la scénarisation et la médiatisation pédagogiques des contenus à transmettre avant les séquences de classe, demande certes des compétences réelles, mais ce sont des compétences de type "technico-organisationnel" dont la mise en œuvre ne dépend que des enseignants : c'est d'ailleurs sans doute l'une des raisons de l'intérêt que ce dispositif suscite chez certains d’entre eux. Les reconfigurations pédagogique et didactique globales que ce dispositif de la classe inversée impose en aval, par contre, avec donc en particulier la mise en œuvre d'une forte différenciation de l'enseignement et des apprentissages, pose des problèmes autrement plus amples et difficiles parce qu'elles demandent l'implication non plus seulement des enseignants et des élèves, mais aussi des équipes d'enseignants et des établissements en tant que tels : elle ne peut se faire correctement, se généraliser parmi les enseignants et se maintenir dans la durée, en effet, sans une certaine flexibilité dans la gestion des groupes, des horaires et des salles, du matériel, et, last but not least, de l'évaluation...

Tout cela est bien connu depuis longtemps, et je ne peux que renvoyer les lecteurs à un article que j'ai publié en 2003, intitulé "Contre la 'pédagogie' différenciée", où, à la suite d’un Programme de Coopération Européenne (PCE) sur la pédagogie différenciée réalisé sur une durée de trois ans (1998-2000) par l’APLV et dix autres associations européennes, je critique l'expression française consacrée, parce que le mot "pédagogie" y laisse penser que la différenciation serait de la seule responsabilité du "pédagogue", c'est-à-dire de l'enseignant.

Ce PCE avait abouti à la production d’un produit d’auto-formation/formation à "l’intervention en pédagogie différenciée dans les classes de langues" toujours disponible en plusieurs langues sur le site de l’APLV et sur mon site.

Christian Puren

 

 

P.S. Les "innovations", décidément, se succèdent actuellement dans l’Éducation nationale française à un rythme soutenu : sous le titre "Classes inversées en langues et SVT au collège de Retiers (35)" un autre Expresso du Café pédagogique a publié il y quelques jours l'interview de trois enseignants (de SVT, d'anglais et d'espagnol) qui se sont lancés non dans la "classe inversée", comme le dit le titre de l'Expresso, mais dans la "classe accompagnée". Ils présentent ainsi le nouveau dispositif:

 

L'idée directrice est de fournir aux élèves toutes les ressources nécessaires pour réaliser la tâche finale. Ils effectuent ces activités en groupe ou en individuel (au choix) à leur rythme. Les activités terminées sont supervisées par l’enseignant après chaque séance, ce qui permet un suivi d'une séance à l'autre.

(...) Concrètement lorsque les élèves arrivent en classe nous commençons par les rituels de la date et de l'appel puis chacun se met au travail en fonction de ce qu'il veut travailler ce jour-là (finir l'activité du cours précédent ou en commencer une nouvelle qu'il choisit lui-même parmi l'offre). Ils ont à leur disposition des dictionnaires, des MP3 (sur lesquels sont enregistrés les documents de CO), des ordinateurs et des dictaphones (pour enregistrer leurs entraînements à l'expression orale).

Les élèves font les activités demandées : elles leur permettent de compléter des fiches-outils de vocabulaire et de conjugaison et de manipuler les différentes compétences écrites et orales (compréhensions écrite et orale / expressions écrite et orale en interactivité ou en continu). A la maison ils doivent revoir ce qu'ils ont fait en classe et mémoriser ce qui ne l'aurait pas été pendant l'heure de cours.

 (...) Le travail à la maison est l'aboutissement, et non le préalable, du travail effectué en classe, notamment en fin de séquence pour réaliser la tâche finale et l'évaluation.

 

Je souligne: il s'agit effectivement, comme le suggère l'enseignant interviewé, du dispositif exactement inverse de celui de la "classe... inversée".

 

Ce qui est commun aux deux dispositifs, celui de la "classe inversée" et celui de la "classe accompagnée" - et c'est en définitive la seule chose importante - c'est la nécessaire reconfiguration globale de la pédagogie et de la didactique qu'ils vont normalement provoquer, avec des effets positifs, mais fatalement aussi (voir le passage que je souligne ci-dessous) l'apparition de problèmes nouveaux :

 

(...) le simple fait de travailler les fiches en autonomie plutôt que d'avancer de façon linéaire en classe entière n'est finalement pas révolutionnaire dans la façon de préparer ses cours, mais cela change vraiment la donne pendant l'heure de cours et le rôle de chacun est chamboulé par rapport aux schémas habituels. J'en suis moi-même encore au stade de l'expérimentation et chaque séance me fait réfléchir aux ajustements à apporter à la façon de mettre en place cette pédagogie, mais elle laisse une liberté intéressante aux élèves et les remet vraiment au cœur de leurs apprentissages. Par contre, il faudra veiller à adapter le cadre de cette liberté et de cette autonomie car selon les classes le travail peut être fait plus ou moins sérieusement et ne pas être productif.

 

Ce qui peut produire des effets positifs sur l'enseignement-apprentissage, ce sont les reconfigurations pédagogique et didactique, et non la classe inversée en elle-même, ou la classe "accompagnée", inverse de la classe inversée, ou tout autre modification technique et organisationnelle : en d'autres termes, ce que l'on doit viser, ce n'est pas l'"innovation", qui n'est qu'un moyen, mais le "changement", qui est l'objectif: les deux concepts sont trop généralement confondus. Les innovations techniques et organisationnelles ne sont jamais, dans le meilleur des cas, que des "catalyseurs de changement", comme ont pu l'être jadis l'enseignement mutuel ou plus récemment le travail de groupe. Ce ne sont, comme je l'ai écrit dans mon précédent addendum, que des occasions de "relancer les interrogations et expérimentations pédagogiques et didactiques sur les réponses, forcément plurielles et complexes, à apporter aux questions que pose l'enseignement-apprentissage".

 

J'écrivais aussi que ce n'était déjà pas si mal. Mais d'une part, il ne faudrait pas prendre ces innovations, ou les faire passer, pour ce qu'elles ne sont pas et ne peuvent pas donner, sous peine de préparer de nouvelles désillusions. Pour filer la métaphore, l'effet que produit un catalyseur chimique dépend de la nature de la solution dans laquelle il est plongé: l'innovation, c'est le catalyseur introduit dans l'éprouvette, le changement, c'est par exemple le précipité qui se formera alors entre les produits en présence dans l'éprouvette. Les "produits" en présence dans l'"éprouvette" de l'enseignant, ce qui constituera la nature du changement qu'il pourra opérer, ce sont tous ses acquis de formation et d'expérience pédagogiques et didactiques.

 

D'autre part, il faudrait enfin se décider, en France, à innover dans la manière de concevoir et réaliser le changement, ce qui impliquerait d'en finir avec les innovations ponctuelles qui se succèdent dans le temps en se remplaçant l'une l'autre, et qui ne donnent lieu, le plus souvent, qu'à des expérimentations individuelles isolées évaluées elles aussi - quand elles le sont - de manière individuelle et subjective (et sur ce point, les enquêtes de satisfaction des élèves n'apportent rien de plus). Il faudrait enfin lancer des expérimentations collectives à grande échelle avec protocole unique et groupes-témoins, évaluées sur le critère principal de l'amélioration effective des acquisitions langagières de tous les élèves et particulièrement des plus faibles, et comparant les avantages et inconvénients respectifs des effets des différentes "innovations" disponibles en faisant varier les paramètres: âges et niveaux des élèves, nombre d'années d'apprentissage, niveaux de formation des enseignants, types de filières, caractéristiques de l'établissement, etc. Il me semble que ce dont la plupart des enseignants ont besoin, en effet, ce n'est pas de la dernière innovation dont on ne sait encore exactement ni ce qu'elle va donner et à quelles conditions, ni ce qu'elle va provoquer par ailleurs, mais d'une vision la plus globale possible des différents "catalyseurs de changement" disponibles, avec pour chacun d'eux les implications en termes de travail de la part de l'enseignant, les avantages et inconvénients, ainsi que la relation entre les conditions et degrés de réussite.

 


8. La "classe inversée" dans l’enseignement des langues,  une innovation « réactionnaire »

 

 

Par Christian Puren, 1er mai 2016

Version du 7 mai 2016

 

L'opération d'inversion que réalise la « classe inversée » n'est pas une idée nouvelle dans l'histoire de la didactique des langues. La première a eu lieu dans les années 1900, dans le cadre de la rupture entre la méthodologie traditionnelle « grammaire-traduction » et la méthodologie directe, et elle s’est opérée dans le sens inverse de celui que la « classe inversée » propose actuellement.

 

L'un des grands méthodologues directs, le germaniste Adrien GODART, la présente ainsi très clairement dans une conférence de 1902[1] :

 

La lecture directe supprime en effet la préparation à domicile. Comment [l'élève] pourrait-il préparer, puisque c’est oralement, par transmission orale, qu’il doit acquérir le sens des mots nouveaux et découvrir la signification des phrases ? Maintenir la préparation selon l’ancienne formule serait le condamner à l’usage du dictionnaire français comme moyen d’acquisition. La préparation, telle que l’entendait la méthode grammaticale, disparaît donc. Ce n’est plus l’élève qui prépare, c’est le professeur. [...]

 

Par bonheur, ce travail est remplacé par un autre exercice, infiniment plus utile que l’opération mécanique qui consistait à transporter des fragments de dictionnaire dans un cahier de préparation, sans se demander, sauf pour les élèves les plus actifs, si le sens choisi s’accordait avec le contexte et sans se préoccuper de la signification de la phrase. À l’ancienne préparation nous substituons l’assimilation du texte. L’élève ne prépare plus, mais il est tenu de relire, à l’étude ou à la maison, le texte expliqué et de le fixer dans sa mémoire. Nous aboutissons ainsi à un déplacement de la préparation qui, au lieu de précéder, comme autrefois, la lecture en classe, la refait et la fixe. (p. 7)

 

La « classe inversée » actuelle revient donc au dispositif de la méthodologie traditionnelle, dans laquelle l'élève préparait seul les thèmes et versions demandés par l'enseignant. Ces traductions des élèves étaient ensuite corrigées collectivement en classe – à partir de la fameuse consigne de l’enseignant : « Lisez-traduisez » –, avant que l'enseignant ne présente et illustre les nouveaux points de grammaire que les élèves seraient censés appliquer[2] dans leur prochain devoir. Dans la classe traditionnelle comme dans la « classe inversée », donc, les élèves préparent seuls la classe suivante à partir d'une préparation préalable de l'enseignant, et ils arrivent en principe en classe avec les problèmes qu’ils ont rencontrés et les solutions qu’ils ont trouvées, ainsi qu’avec toutes les questions qu’ils se posent encore.

 

Les contextes pédagogique, didactique et technologique ne sont plus du tout les mêmes, bien entendu, et je ne veux absolument pas suggérer ici que la « classe inversée » opérerait dans l'enseignement-apprentissage des langues un retour à la méthodologie traditionnelle ! Je veux seulement revenir sur ce qui me paraît en cette affaire l'idée essentielle, que j'ai déjà développée plus haut sur cette page de blog et son forum, à savoir que l’intérêt éventuel du dispositif de la « classe inversée » ne réside pas du tout dans le dispositif lui-même (à savoir l'inversion du lieu et du moment du premier travail de l’élève, qui ne se fait plus en classe au moment du cours, mais avant le cours et hors de la classe) : ce dispositif n’est même pas nouveau. Il réside dans l'occasion qu'il offre de restructurer et repenser intelligemment l'ensemble des pratiques d'enseignement-apprentissage. Et cela, ce n'est pas l'inversion de la classe qui permet de le faire, mais une bonne formation pédagogique et didactique actualisée… et préalable.

 

Il ne faudrait pas en effet opérer avec la « classe inversée » une autre inversion, qui me paraîtrait très dommageable, et qui consisterait pour un enseignant à commencer par la modification du dispositif avant même d'avoir les moyens et d'avoir réfléchi aux manières de la gérer efficacement et dans la durée. C'est pourtant ce que peut suggérer l'expression injonctive, que je considère comme très malheureuse, « Inversons la classe ! ». Faire l’inversion d'abord, et voir ensuite que faire avec ce qu’elle produit, cela serait comme opérer en agriculture une autre inversion technique assurément tout aussi radicale et originale, mais qui de toute évidence ne peut pas donner de bons résultats sur le terrain – en l'occurrence le champ de labour – : celle qui consiste mettre la charrue avant les bœufs.

 

L’enseignant qui prépare chez lui ses enregistrements vidéo de « classe inversée » doit s’efforcer, pour qu’elles soient efficaces, de devancer les besoins et les difficultés de ses élèves, c’est-à-dire de se représenter mentalement ceux-ci comme s’ils étaient présents devant lui : la transmission du cours en présentiel est en quelque sorte, comme le disent les informaticiens, « encapsulée » dans les… capsules vidéo. Au cours de cet enregistrement, l’enseignant est donc dans une situation pédagogique plus « traditionnelle » encore que dans la classe traditionnelle elle-même – dans laquelle les élèves étaient au moins devant lui lorsqu’il les préparait à la traduction à venir –, puisqu’il n’y a à ce moment-là aucune interaction effective entre lui et ses élèves : il doit imaginer les interactions qu’il y aurait eu en présentiel, ce qui demande assurément de sa part non seulement une solide formation initiale, mais une longue expérience de l’enseignement et une bonne connaissance de ses élèves. Ce ne serait certainement pas un progrès dans la réflexion pédagogique et didactique, en effet, mais à l’inverse (autre inversion…) une régression, que de penser que la transmission peut se faire tout aussi aisément et efficacement sans qu’il y ait dans le même temps interaction entre l’enseignant et ses élèves ; et interaction entre les élèves eux-mêmes, comme me le suggère mon collègue Michel MOREL, qui me signale très justement, dans un courriel personnel, deux autres problèmes générés par la mise en œuvre de la "classe inversée", qu'il est indispensable de prendre en compte :

 

a) "Le professeur, à moins de passer ses nuits à faire ses préparations, ne pourra pas différencier le contenu de ses capsules en fonction du niveau de ses élèves, alors qu’il peut moduler ses interventions en présentiel."

 

b) "Si l’on prend pour référence la perspective actionnelle, la classe inversée me semble en rupture avec le principe de l’acquisition collective des outils qui vont permettre aux élèves d’agir collectivement."

 

J'ajouterai à ces deux remarques de Michel MOREL que par rapport à la démarche attendue en perspective actionnelle, la "classe inversée" opère une autre inversion elle aussi objectivement "réactionnaire" : au lieu que ce soient, comme il est logique aussi bien en perspective actionnelle qu'en pédagogie de projet, les apprenants qui recherchent eux-mêmes les informations en fonction des ressources nécessaires à leur action, celles-ci leur sont données d'emblée, ce qui va impliquer de la part de l'enseignant de prédéterminer plus étroitement l'action des apprenants, aux dépens de leur marge d'autonomie. Par ailleurs, des opérations fondamentales de la "gestion de l'information" à laquelle on doit désormais former les apprenants en tant qu'acteurs sociaux, à savoir la recherche, l'évaluation, la sélection, la hiérarchisation et la mise en forme de l'information, vont revenir en "classe inversée", comme c'était auparavant le cas en pédagogie traditionnelle, à la charge de l'enseignant.

 

On se rend compte, je l’espère, de la prudence que l’on devrait avoir dans la mise en œuvre de la "classe inversée", et tout particulièrement dans l’enseignement des langues :

 

a) parce qu'elle remet en cause le dispositif historique de la méthodologie directe en place depuis plus d’un siècle, alors même que le paradigme direct – on apprend à parler, lire et écrire la langue cible principalement en parlant, lisant et écrivant « directement » dans cette langue, c’est-à-dire sans partir de/ou revenir à la langue source – y est en vigueur depuis plus d’un siècle, et qu’il y est resté jusqu’à nos jours ;

 

b) parce qu'elle est incompatible sur plusieurs aspects avec la mise en œuvre de la perspective actionnelle et de la pédagogie de projet.

 

Pour revenir en conclusion au titre de ce billet : la « classe inversée » est « réactionnaire » dans le sens étymologique du terme, puisqu’elle part d’une réaction contre le cours magistral ; il ne faudrait pas qu’elle produise dans l’enseignement des langues, dans l’autre sens bien connu du terme, des effets objectivement réactionnaires...

 

Christian Puren, M’Sila, 1er mai 2016



[1] En raison de l'importance historique de cette conférence, où l'auteur propose déjà toutes les caractéristiques de la "méthodologie active", qui restera officiellement en vigueur en France jusqu'à l'arrivée de la méthodologie audiovisuelle dans les années 60 (et il y a peu de temps encore dans l'enseignement de l'espagnol, jusqu'à l'arrivée de la perspective actionnelle), j'ai reproduit la totalité de cet article sur mon site : GODART Adrien, "La lecture directe, Conférence pédagogique du 27 novembre 1902 à Nancy", Revue de l'Enseignement des Langues Vivantes, n° 11, janvier 1903, pp. 471-486.

[2] « … censés appliquer… » : voir en effet la critique d’Adrien Godart dans la première phrase du second paragraphe de l’extrait cité plus haut, que me confirment mes souvenirs d’ancien potache de latin et de grec : il n’était pas rare de trouver ainsi dans le dictionnaire latin-français de référence à l’époque, le Gaffiot, déjà traduits "en bon français", plus de la moitié des vers d’un poème de Virgile donné en devoir par l’enseignant…

 


9. Constat : la "flipped classroom" ne convient pas à tout le monde


Dans la newletter du site vousnousils.fr en date du vendredi 7 avril 2017 est publié le compte-rendu d'une expérimentation conçue par un professeur, Vincent FAILLET, qui, avec le concours de deux collègues de physique-chimie en classe de Première S, a testé l'effet réel de la classe inversée sur les résultats des élèves pendant une première moitié de l'année, en le comparant aux résultats obtenus par les mêmes élèves, avec les mêmes enseignants, pendant la seconde moitié de l'année.

 

Le constat est annoncé dès le sous-titre de l'interview de cet enseignant par le site nousvousils.fr, que j'ai retenu pour le titre du présent billet de blog. Et c'est, "d'une façon très flagrante, que le rendement est nettement meilleur pour les élèves en difficulté, et nettement moins bon pour les bons élèves."

 

Ce constat peut surprendre, mais l'interprétation qu'en fait  Vincent FAILLET est convaincante:

 

Ce qui se passe, c'est que ces "bons élèves" sont "bons" parce qu'ils ont été sélectionnés par le système traditionnel, centré sur les cours magistraux. (...) ils ont une capacité d'écoute, d'interaction avec l'enseignant (si je n'ai pas compris, je lève la main, j'ose demander)... et ce sont des élèves qui, étonnamment, ne travaillent pas chez eux. Ils n’en ont pas besoin, car ils comprennent tout en cours. (...)

A l’inverse, pour les élèves en difficulté, la classe inversée se révèle être un outil performant de remédiation, permettant de redonner confiance à certains élèves du lycée dépassés par un système trop souvent transmissif, et pas assez permissif.

 

Elle est convaincante dans le cadre de cette expérimentation, du moins telle qu'elle est présentée, et pour la discipline enseignée (physique-chimie). Il serait assurément intéressant de faire le même type d'expérimentation en langues, parce que mon hypothèse personnelle de départ est l'inverse du constat tiré par Vincent FAILLET : un premier contact avec les documents sans l'aide et le guidage en temps réel de l'enseignant défavoriserait les élèves les plus faibles, la "classe inversée", en langues, favorisant ceux qui ont déjà le meilleur niveau et le plus haut niveau d'autonomie et de motivation.

 

Mais c'est là pour l'instant "seulement" une hypothèse, qui demanderait à être validée... ou invalidée, par des expérimentations rigoureuses : il serait temps que les promoteurs de la classe inversée en langues s'y mettent.

 

Vincent FAILLET conclut ainsi, au-delà du bilan de son expérimentation :

 

Il n'y a pas de méthode miracle. Et le risque, en faisant de la classe inversée un dogme, est d'éluder et de passer sous silence les (autres) expérimentations et innovations de nombreux enseignants. (...) Il est possible de faire de la pédagogie active sans inverser le cours. L'utilité de la classe inversée dépend de la matière, de l'enseignant, de la classe, des élèves...

 

On pouvait prévoir ces conclusions avant même cette expérimentation, mais il est toujours bon de retrouver et de rappeler la logique fondamentalement contextuelle de la perspective didactique : la seule réponse à une question méthodologique (Faut-il faire comme ceci? Faut-il ne pas faire cela", etc.) est : "Ca dépend"...

 

Je présente cette idée dans mon cours "La didactique des langues comme domaine de recherche", Dossier n° 4 : La perspective didactique 2/4 : objectifs et environnements. Voir en particulier le chap. 2.2., "Didactique des langues-cultures et logique environnemen-taliste"(pp. 9-14), avec des  liens vers plusieurs textes où je la développe.

 

Christian Puren, 7 avril 2017


10. "La pédagogie inversée : une pédagogie archaïque"

 

La revue en ligne Skhole.fr a publi" une long article de Alain BEITONE et Margaux OSENDA, deux professeurs de SES (Sciences Économiques et Sociales), où ils argumentent l'affirmation posée clairement dans le titre de l'article : "La pédagogie inversée : une pédagogie archaïque".

Dans toute la première partie "1. Qu’est-ce que la pédagogie inversée ?", les auteurs développent les critiques que l'on peut faire de la pédagogie inversée du point de vue... pédagogique. Ces critiques valent donc tout aussi bien pour l'application de la pédagogie inversée à l'enseignement-apprentissage des langues. On les lira avec d'autant plus d'intérêt qu'elles sont systématiques, détaillées... et  à mon avis convaincantes.

Dans la seconde partie ("II. Pédagogie inversée : l'exemple des SES"), la critique de la pédagogie inversée se fait du point de vue de la didactique de cette spécialité, et on y retrouve les grands concepts de la didactique des mathématiques, inspirés de l'épistémologie de Bachelard, tels que la "situation problème", le "conflit socio-cognitif" et l'"obstacle épistémologique". Ces concepts n'ont pas de pertinence pour la didactique des langues-cultures, et j'ai déjà eu l'occasion de critiquer, en m'appuyant sur d'autres épistémologues, l'épistémologie elle-même de Bachelard (voir par exemple, au chapitre 5 de mon cours sur la méthodologie de la recherche, les pages 29-31).

 

D'un point de vue spécifique à la didactique des langues-cultures, la perspective critique à l'encontre de la pédagogie inversée me semble celle que j'ai développée dans mon billet du 1er mai 2016, que l'on trouvera plus haut sur la présente page : la pédagogie inversée nous fait revenir sur la décision historique prise par les méthodologues directs du début du XXe siècle, qui considéraient que la seule manière d'"obliger" les élèves à prendre contact "directement" avec la langue étrangère (c'est-à-dire sans s'appuyer systématiquement sur le dictionnaire et la grammaire, comme ils le faisaient - comme nous le faisions,  encore à mon époque... - en étude ou à la maison) était d'organiser ce premier contact en classe.

 

Mon billet du 1er mai s'intitulait « La "classe inversée" dans l’enseignement des langues, une innovation "réactionnaire" » : on voit que si la perspective critique est différente d'une didactique à l'autre, le constat est le même...

 

Christian Puren, 23 juin 2017


11. Références de deux contributions sur le site de Thot Cursus, en date du 27 septembre 2017, avec citations, et commentaires personnels

 

La livraison du 27 septembre 2017 de la Lettre d'information de Thot Cursus (http://cursus.edu/) propose deux contributions concernant la classe inversée. L'une est le texte d'une interview d'Héloïse Dufour, Présidente d'"¡Inversons la classe!" (sic : le logo accompagnant l'interview est présenté ainsi, avec deux points d'exclamation dont le premier inversé, à l'espagnole): elle est bien sûr positive, même si la tonalité est défensive. L'autre est un billet de Daniel Therrien, dont le titre, "La valeur de la classe inversée", ne laisse pas présager qu'il s'agit d'une critique. Citations choisies, avec mes commentaires personnels.

 

1. DUFOUR Héloïse, "Le procès de la classe inversée : retour sur une performance pédagogique. Interview d'Heloise Dufour présidente d'Inversons La Classe"

 

Je renvoie à la lecture de ce court texte. Deux extraits simplement, avec mes commentaires:

 

1.1 "Je comprends tout à fait qu’entendre qu’on sorte le nouveau mantra pédagogique, ce soit lassant. Je pense que l’on travaille contre cela. Nous faisons en sorte qu’il y ait des débats, des réflexions sur comment, en tant qu’enseignant, on peut faire évoluer sa pratique. La preuve est, que lors de nos évènements, on travaille sur des sujets concrets et fondamentaux. Comment faire travailler les élèves en groupe ? Comment on modifie l’évaluation du travail des élèves ? Comment on accompagne au mieux les élèves et comment on différencie ? Il me semble que c’est le cœur de la pédagogie. Je ne crois pas que ces questionnements-là puissent être lassants."

 

Non, ces questionnements ne sont sûrement pas lassants. Le problème est que les poser à partir de la seule inversion de la classe ne peut avoir que des effets réducteurs. Ils doivent l'être, en bonne pédagogie comme tout en bonne didactique, à partir des problématiques générales, et non à partir d'un procédé particulier, quel qu'il soit. Rajouter un second point d'exclamation à "Inversons la classe!" renforce un volontarisme focalisé sur un point particulier, ce qui est à mes yeux symptomatique d'une posture que je considère comme fondamentalement erronée eu égard à la complexité du processus d'enseignement-apprentissage et des multiples paramètres qui l'influencent.

 

1.2 "Le plus important est de rester dans l’échange. [...] Il se trouve que c’est assez compliqué à mettre en place. On essaye d’inviter régulièrement nos détracteurs mais c’est compliqué de les faire venir. Je comprends que cela les positionne dans une situation délicate."

 

Je trouve cette déclaration très surprenante, et j'espère qu'elle est faite en toute bonne foi. Pour ma part, j'ai toujours accepté toutes les invitations, sauf empêchement matériel. Mais je n'en ai jamais reçu de l'association d' "(¡)Inversons la classe!", alors même que sa Présidente me connaît et connaît mes positions, puisqu'elle est intervenue sur cette page d'échanges consacrée à cette question sur mon site. Et je rassure à l'avance Héloïse Dufour : je ne me sentirai aucunement dans une situation délicate, du moins si elle accepte que je présente mes réserves et mes critiques sur l'idée d'une "entrée en innovation" par l'inversion de la classe dans le domaine que je connais, celui de l'enseignement scolaire français des langues vivantes étrangères au primaire et au secondaire. Dans ce domaine, j'ai la prétention de penser que contrairement à sa prétention à elle, la gêne elle aussi sera inversée : ce sera celle des collègues qui me feront face.

 


2. THERRIEN Daniel, "La valeur de la classe inversée"

 

Là aussi, deux extraits, qui me semblent résumer assez bien le billet.

 

2.1 "Aussi, un ensemble d’habiletés intellectuelles est nécessaire pour atteindre un certain niveau de compétences en écriture, lecture, et en fonction de pouvoir réaliser certaines opérations comme le raisonnement et la mémorisation. Appréhender un problème mathématique, décortiquer un texte et en saisir les idées principales, retenir des contenus théoriques sont des habiletés qui ne peuvent pas être confiés à la simple volonté des apprenants.

Prétendre que les apprenants peuvent exercer ces habiletés intellectuelles de façon efficace hors de la classe sans supervision relève de l’utopie. En poursuivant sur cette lancée, c’est à l’épreuve de la compétence que doit se mesurer l’inversion de la classe."

 

2.2 "Il faut s’étonner davantage de la popularité du modèle que de l’application réelle du modèle de classe inversée. Quoique  séduisante, l’idée de mener la classe en prenant pour acquis que nos élèves ont bien appris ce qu’ils devaient apprendre ne tient pas la route. Les enseignants d’expérience l’ont bien compris, et les données de recherche sur la validité du modèle sont peu nombreuses ou manquantes.

 

Ces deux passages se terminent par le même appel à des évaluations rigoureuses des effets de l'inversion pédagogique. Il serait temps que les promoteurs de ce procédé le prenne en compte, pour pouvoir ensuite légitimement parler, comme dans le titre (un peu complaisant...) de l'interview d'Héloïse Dufour, de "performance pédagogique".

 

Christian PUREN, 27 septembre 2017

 


12. Innovation et réaction en didactique des langues-cultures : la carte et le territoire

 

À propos de : A. COUGHLIN, « "Classe accompagnée : mes élèves prennent un maximum de décisions" » (interview), site vousnousils.fr, 16 février 2018

 

Je conseille vivement la lecture de cet interview d'un professeur d'anglais, qui dans ses débuts avait essayé des pédagogies alternatives, mais les avaient abandonnées:

 

J’ai regardé ce qui se faisait en matière de pédagogie nouvelle. Mais je me suis rendu compte que, de Freinet à Montessori, la plupart sont difficiles à transposer dans une classe lambda de l’Education nationale, soumise à des contraintes horaires et matérielles.

 

Il passe dans un premier temps à la "classe inversée", mais, comme on dit, il "en est revenu", en constatant de ses problèmes les plus importants que dénoncent tous les didacticiens critiques, et qui est particulièrement aigu à l'heure où les enquêtes PISA montrent, l'une après l'autre, l'aggravation, en France, de la corrélation entre les résultats des élèves et leur origine socio-culturelle :

 

[...] en 2011, j’ai découvert la flipped classroom. J’ai appliqué sa définition stricte : donner des vidéos du contenu du cours en amont, et libérer du temps pour faire les exercices en classe. Mais dans mon collège, loin d’être favorisé, j’ai constaté que donner du travail à la maison était une illusion : pour un élève qui a la chance d’avoir des parents disponibles, pas de problème, mais pour les autres, c’était problématique. La classe inversée, dans sa définition originelle ne pouvait pas fonctionner.

 

Je pourrais ajouter (cf. ici-même l'idée que j'ai présentée à la fin de mon billet "La pédagogie inversée : une pédagogie archaïque"), à savoir que ce sont les enfants des classes les plus défavorisées qui ne trouveront pas des parents capables de les faire travailler en langue étrangère, et qui de ce fait auront recours le plus souvent à la méthode indirecte (i.e. à leur langue maternelle).

 

A. COUGHLIN pose alors le principe sur lequel il va baser toute la reconfiguration de sa pédagogie :

 

L’autonomie ne s’apprend pas en travaillant à la maison, avec des parents qui, souvent, ne savent pas comment aider leurs enfants. Elle ne s’apprend pas non plus en écoutant l’enseignant, mais en agissant. Il faut arrêter de tout miser sur la transmission du savoir, et permettre à l’élève d’apprendre par lui-même à gérer son temps et ses ressources, et à collaborer avec les autres.

 

A partir de ce principe, il va opérer en partie un "retour en arrière" :

 

On revient aussi aux principes d’une classe collaborative Freinet : les élèves décident eux-mêmes des choses à faire, à partir de conseils. Je ne le fais pas d’une manière aussi systématique, mais les élèves peuvent prendre un maximum de décisions. Au début, ils sont un peu décontenancés par toute cette autonomie, mais ils finissent par vite prendre le pli. Une classe accompagnée bien lancée, c’est une classe dont les élèves entrant dans la salle déplacent les tables immédiatement, et qui sont déjà au travail le temps que je me lève. Il m’est déjà arrivé d’interrompre les élèves, qui s’étaient déjà mis au travail, car je voulais revenir à une forme de cours plus classique ! [...] Le cours magistral classique existe encore parfois, mais seulement pour ceux qui en ont besoin, dans un coin de la salle.

 

On retrouve là démarche éclectisme d'Adrien PINLOCHE, qui avait écrit en 1908 un article intitulé "Réaction et progrès" (sous-entendu : le progrès passe par la réaction ; cf. mon Essai sur l'éclectisme de 1994, note 116 p. 64), et qui l'année suivante critiquait ainsi l'innovation de l'époque, la méthodologie directe :

 

Il n'y a pas et il ne peut y avoir en pédagogie de système absolu. Ce qu'il y a donc à faire si l'on veut avancer, c'est de chercher de bonne foi, expérimentalement et non théoriquement, ce que peut donner chaque procédé suivant les indications du moment et le terrain, au fur et à mesure de l'évolution psychologique de l'élève, puis de ne pas hésiter à reconnaître le moment où il cesse d'être utile et peut même commencer à devenir nuisible. Et alors, au lieu de se priver obstinément des bienfaits de l'un ou l'autre de ces procédés, n'est-il pas tout indiqué, au contraire, de les combiner en vue du maximum possible de rendement ? Les procédés de la méthod[ologie] directe ne sauraient échapper à cette loi. Ils ont, comme tous les autres, leur valeur relative et leurs indications utiles, et par conséquent aussi leur limite d'efficacité. (Des limites de la méthode directe, Paris, Belin 1909, 16 p.)

 

La "réaction" de A. COUGHLIN est cependant est très différente tout autant de celle d'A. PINLOCHE que de celle qu'opère la classe inversée en classe de langue, d'une part parce que c'est un retour à tout un "patrimoine progressiste" de la pédagogie générale, d'autre part parce que ce retour se fait de manière consciente et raisonnée, enfin parce qu'il s'agit à la fois de revenir en arrière et d'aller plus loin, exactement comme le dit l'expression "reculer pour mieux sauter" :

 

Ma classe accompagnée est transitoire : elle s’utilise dans un certain contexte, avec des élèves qui ont peu d’autonomie, et que l’on veut rendre justement autonomes. Elle est ainsi pertinente au collège, mais à un certain moment, il est possible de s’en passer et d’aller au-delà.
Une fois l’objectif d’autonomie atteint, il est possible de passer à d’autres formes de pédagogie, comme la classe mutuelle de Vincent Faillet ou la classe renversée de Jean-Charles Cailliez – quand les élèves construisent les cours qu’ils doivent apprendre, et apprennent ainsi en enseignant eux-mêmes.

 

Les besoins d'orientations sûres, simples et définitives sont constamment très forts dans un métier aussi difficile que celui d'enseignant, et les espoirs insensés que certains mettent actuellement dans les seules neurosciences en sont un nouvel exemple désolant. Contrairement au choix de telle ou telle voie à sens unique dont on sait déjà, d'expérience historique, qu'elle se révèlera finalement, comme toutes les autres, être sans issue, la stratégie complexe et dynamique d'A. COUGHLIN est la seule adéquate : elle ne montre pas une direction à prendre sur une carte - la carte conceptuelle de la didactique des langues-cultures - : elle consiste à occuper tout le territoire.

 

Christian Puren, 18 février 2018


13. "Classes inversées et MOOC, révolution copernicienne dans l’enseignement… vraiment ?"

Un article de Charles Hadji sur le site theconversation.com, 1er novembre 2017

 

 

 

Sur le site theconversation.com, Charles Hadji, ancien Professeur des Universités en Sciences de l'Éducation à l'Université Grenoble Alpes, reconnaît, comme le font la plupart des pédagogues et didacticiens, la force potentiellement "disruptive" de la mise en place de la pédagogie inversée : Elle introduit en effet un changement majeur dans l'organisation du double travail d'enseignement et d'apprentissage". Mais comme eux, aussi, et comme je l'ai fait moi-même, il pointe le danger qu'elle représente lorsqu'elle est appliquée dans l'enseignement scolaire sous la forme actuelle, celle d'une première prise de contact des élèves avec les contenus hors de la classe :

 

C’est en classe qu’il faut inverser la classe. La véritable révolution copernicienne s’accomplira quand l’inversion entre les deux temps de travail s’effectuera au sein même de l’école, dans une rythmicité féconde. Il faut réintroduire à l’école le temps d’appropriation personnelle d’un contenu, qui relève de la mission de l’école. Il faut articuler en son sein même les deux temps d’acquisition et de consolidation. [...] L'école [...] doit prendre en charge tout ce qu’il y a d’essentiel dans le travail d’apprentissage des enfants et des adolescents, sous peine de les abandonner aux forces du marché, dont l’effet le plus sûr est le développement et l’aggravation des inégalités.


14. "Référence d'une nouvelle contribution critique"

 

Je conseille la lecture d'un autre bon article critique sur la classe inversée, dans une perspective plus politique et idéologique que celui référence plus haut (contribution n° 10) :

 

Paul DEVIN, "Les leurres de la classe inversée. Doutes et regards critiques sur les fantasmes d'une prétendue révolution pédagogique", Le blog de Paul Devin, Site de Médiapart,  (publié le 13 février 2016, dernière consultation 1er octobre 2018). Paul DEVIN est syndicaliste FSU, inspecteur de l'Éducation nationale, secrétaire général du SNPI-FSU, syndicat des inspecteurs (IEN et IA-IPR).

 

Je remercie Michel Morel de m'avoir signalé ce texte.

 

Christian Puren, 1er octobre 2018


Ci-dessous, de haut en bas, les contributions n° 4, 5 et 7 


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Commentaires: 3
  • #1

    Héloïse (lundi, 22 février 2016 14:12)

    Cher Monsieur Morel,
    En tant que présidente d'Inversons la Classe !, j'aimerais apporter quelques éléments sur cette association. Elle est composée principalement d'enseignants, qui cherchent non à convaincre mais à faciliter le partage sur cette pratique.
    La semaine de la classe inversée que nous avons lancée a ainsi pour vocation de permettre à ceux qui s'interrogent sur la classe inversée d'échanger avec des praticiens. Elle s'inscrit dans la lignée du congrès classe inversée, qui se déroulera encore cette année à Paris, mais auquel tout ceux qui le souhaitent ne peuvent pas forcément assister (http://www.laclasseinversee.com/clic-classe-inversee-le-congres/).
    La participation de plus de 2500 enseignants à cette semaine est un des marqueurs parmi d'autres qui attestent de la demande d'information qui existe sur le sujet. Nous essayons d'y répondre, non de manière dogmatique, mais en favorisant les échanges entre pairs.
    De par notre expérience, nous pensons en effet que la classe inversée est en effet UNE (et non LA) solution à des difficultés qui peuvent être rencontrées en classe, et qu'elle permet de développer les pédagogies actives en classe (qui ont, elles, fait l'objet d'évaluations nombreuses). Sa mise en pratique se doit naturellement d'être réfléchie, comme celle de n'importe quel scénario pédagogique.
    Enfin, oui, la classe inversée est propice à l'utilisation du numérique. Car la classe inversée n'est pas définie par l'utilisation du numérique, ce dernier n'étant que facilitateur.
    Bien cordialement,
    Héloïse Dufour

  • #2

    Christian Puren (lundi, 22 février 2016 19:54)

    Merci à Héloïse Dufour pour son intervention, et cette mise au point, certainement salutaire..

    Je voudrais simplement pointer ce qui dans son esprit constitue certainement des raccourcis, mais je ne suis pas sûr que tout le monde les comprenne ainsi. Or il me paraît indispensable, pour éviter les futures désillusions, de lever les incompréhensions pouvant porter sur ces points:

    1) "... permettre à ceux qui s'interrogent sur la classe inversée...": c'est plus exactement, n'est-ce pas, s'interroger sur les modes de réorganisation du dispositif d'enseignement-apprentissage et des démarches d'enseignement-apprentissage forcément modifiés/à modifier lorsque l'on introduit des séquences en classe inversée.

    2) "... la classe inversée est en effet UNE (et non LA) solution à des difficultés..." : cette solution n'est pas apportée par la classe inversée, n'est-ce-pas, mais éventuellement par la réorganisation de l'ensemble du dispositif et la modification de l'ensemble des démarches d'apprentissage, comme je l'ai écrit ci-dessus.

    - Oui, il est clair que la classe inversée "est propice à l'utilisation du numérique". Mais dans le dispositif de la classe inversée, le numérique n'est pas "facilitateur": il n'est qu'un support et un vecteur: ce qui sera facilitateur - si du moins vous parlez bien de pédagogie et de didactique, c'est-à-dire de facilitation de l'apprentissage, et non pas de facilitation de l'accès des élèves aux documents et activités de la classe inversée -, ce sera par exemple la scénarisation des activités proposées aux élèves sur le document, les aides et guidages accompagnant ce document, etc. Or le numérique n'apporte là rien de différent, du point de vue des modes de conception pédagogique et didactique et des démarches d'apprentissage qu'elles vont susciter chez les élèves, par rapport à ce qui se fait déjà dans une unité didactique de manuel papier et un cahier d'exercices. Si vous n'êtes pas d'accord sur ce point, je suis tout disposé à examiner vos arguments.

    Cordialement,

    Christian Puren

  • #3

    Mohammed SOUALI (samedi, 23 avril 2016 17:05)

    Bonjour,
    Je voulais juste apporter quelques précisions qui me paraissent importantes pour clarifier les différentes positions évoquées ci-dessus et dont l’objectif commun n’est autre qu'un enseignement/apprentissage respectivement efficient et efficace.
    Les « Classes Inversées » comme le dit si bien Marcel Lebrun est une manière d'optimiser le temps de présence de l'enseignant avec ses élèves et de réfléchir lors de l'élaboration de ses programmations/progressions à ce qui nécessite le "côte à côte". C'est dans ce sens que le numérique nous permet de gagner un temps précieux en mettant à la disposition des apprenants des ressources accessibles (en terme d'apprentissage, d’appropriation et d’acquisition). Le numérique, avec nombre de ressources, que l’on trouve sur le net ou que l’on fabrique, ne se contente pas de la mise à disposition uniquement « vecteur/support » mais propose des activités "didactisées" qui accompagnent des démarches d'appropriation (le numérique est « facilitateur » dans ce sens). Évidemment, tout ne peut être abordé de la sorte et c'est là, à mon avis et d'après ma pratique de classe (en élémentaire, CE2), le point le plus riche dans le métier d'enseignant, à savoir, décortiquer les programmes (ou presque curriculum 2016) pour trier ce qui peut relever d'une démarche d'inversion, et ce qui ne peut pas l'être, et en conséquence, chercher tous les moyens et dispositifs (numériques ou pas) pour ce faire et rester cohérent avec l'idée de se limiter dans "le face à face " à ce qui est nécessaire pour délocaliser tout ce qui peut l'être, et ainsi dégager le plus de temps possible pour des activités collaboratives et actives qui stimulent l'intelligence et permettent la différenciation.
    Dans ce domaine, l’enseignant doit réguler en permanence et ce qui est faisable une année peut ne pas l’être à l’identique l’année suivante car il faut s’adapter aux profils des élèves.
    Si l’on prévoit de faire une séance suivant un dispositif d’inversion et que l’on se rend compte que les éléments ne sont pas réunis pour la mener à bien, il reste toujours la possibilité de la mettre en œuvre autrement grâce aux pédagogies actives, accompagnées, traditionnelles…le temps « perdu » dans ce cas est celui de l’enseignant qui s’est donnée du mal pour rien mais nullement celui des élèves.
    Vous citiez Freinet, et je conclurai pour ma part en disant que j’essaye de faire du Freinet médiatisé par le numérique en profitant de toutes les possibilités offertes par les nouvelles technologies aussi bien en synchrone qu’en asynchrone. J’ai ainsi beaucoup plus de temps pour le « Quoi de neuf », le « texte libre », le « plan de travail »…et le tout sans culpabiliser parce qu’on ne fait pas que « les fondamentaux ».
    Cordialement,
    Mohammed Souali
    EMFE langues AEFE Tunisie