Les leçons du succès d'un article en gestion d’entreprise pour les jeunes chercheurs en DLC

Le site "The Conversation" publie aujourd'hui 29 avril 2016 l'interview de la co-auteure d'un article à succès en gestion d'entreprise, Emmanuelle Reynaud, "Shareholders, stakeholders et stratégie" (2001), republié en 2015 dans la même Revue Française de Gestion. Elle y est interrogée sur les raisons de ce succès, et ses explications me semblent directement susceptibles d’intéresser les jeunes chercheurs en didactique des langues-cultures (DLC) qui souhaitent légitimement, eux aussi, se faire connaître et reconnaître par des publications marquantes.

 

Ci-dessous deux extraits, dont j'ai pris la liberté de transposer les idées avec des notes de bas de pages, et, de manière plus osée je le reconnais, avec des remarques entre crochets à l’intérieur même du texte (exemple à ne pas suivre dans un mémoire ou une thèse !...).

 

1.  […] les raisons principales de cette réussite résident probablement dans le fait :

 

– qu’il explique, comme nous l’avons dit, de façon simple les fondements de modèles économico financiers [modèles didactiques[1]] jusqu’alors essentiellement modélisés ;

 

– qu’il suggère qu’une autre approche est possible :

 

(a) En montrant qu’il y a eu d’autres périodes avec d’autres modèles,

 

(b) en montrant que si au niveau d’un groupe on peut ne regarder que les seuls actionnaires, au niveau d’une filiale il est fondamental de tenir compte des différentes parties prenantes (avec le cas Danone Evian) [en variant et en croisant les perspectives des différents acteurs de la DLC : apprenants, enseignants, formateurs, auteurs et éditeurs de matériels didactiques, responsables éducatifs et pédagogiques, didacticiens, pédagogues,…],

 

(c) en décrivant théoriquement un modèle alternatif.

 

2.  Il est important de défendre une thèse[2] pour qu’un article ait un fort impact. Bien sûr, l’impact sera d’autant plus important que cette thèse fera écho chez les lecteurs.

 

Les praticiens [les enseignants] sont davantage intéressés par la pertinence des questions soulevées que par la rigueur méthodologique[3]. Les articles développant des idées nouvelles ou les analyses de la littérature résumant un sujet porteur seront davantage lues et utilisées que les études empiriques sur un sujet ultra-précis, ne concernant, de fait, que peu de monde.

 

Dans notre cas, la mise en perspective des modèles alternatifs, notamment selon les deux niveaux (groupe/filiale) est apparue éclairante aux yeux du lectorat professionnel. [Les articles de recherche en DLC qui auront le plus d'impact sont ceux qui « éclaireront » des questions et préoccupations des enseignants.]

 

Ceci étant dit, il est difficile de donner une recette : qu’un article soit lu ou au contraire boudé reste une surprise, même pour les auteurs. Aussi, autant suivre ses envies et ses convictions, car à défaut d’être lu le chercheur prendra plaisir à travailler et là réside sûrement sinon la clé du succès du moins celle de la satisfaction professionnelle.[4]

 

Christian Puren

 


[1] Sur les modèles en DLC et leur importance, cf. le Dossier n° 3, "La perspective didactique 1/4: Modèles, théories et paradigmes" de mon cours en ligne "La DLC comme domaine de recherche", et mon essai Théorie générale de la recherche en DLC.

[2] Dans le sens 1, "logique", une "thèse" est une proposition qui va être développée et étayée par des hypothèses que l'on va chercher à valider, et des questions de recherche auxquelles on va tenter de donner des réponses. Exemple: "Le travail de groupe favorise la qualité des productions des apprenants", "La pédagogie de projet permet de mobiliser des apprenants démotivés", "La pédagogie de l'intégration a produit des effets négatifs dans l'enseignement des langues-cultures en Afrique", etc. Dans le sens 2, "formel", il s'agit du travail de recherche présenté en soutenance. Cf. "Glossaire des mots-clés de la recherche en Didactique des langues-cultures", pp. 20-21. Dans ce compte rendu d’interview d’ Emmanuelle Reynaud, "thèse" est bien sûr utilisé dans le sens logique.

[3] Bien évidemment, il ne s’agit pas ici, de ma part, de relativiser l’importance de la rigueur méthodologique dans une recherche universitaire – mémoire ou thèse –, ni même dans un article de recherche publié pour d'autres chercheurs de son domaine. Mais si l’on cherche à obtenir de nombreux lecteurs en DLC - et, en même temps, ne pas être utile uniquement pour sa carrière... -, il faut publier des articles qui ne soient pas des copier-coller de chapitres de thèses, mais des réécritures destinées aux enseignants, en y prenant en compte tout ce qui cela implique.

[4] On retrouve là un peu la même idée (celle de l’intérêt personnel du chercheur) que celle énoncée en toute fin d’un article (lui aussi écrit par une spécialiste en gestion d’entreprise…) encourageant les étudiants à faire des recherches dans cette spécialité : "Si une recherche doctorale ne change pas le monde, elle change, à coup sûr le doctorant qui la conduit. Et ce processus est sans prix." J’ai commenté ce texte, intitulé "Faire ou ne pas faire une thèse en didactique des langues-cultures ?" dans un billet de blog en date du 11 juin 2013.