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Culture numérique et culture universitaire en filière langues, littératures et cultures étrangères (LLCE) : quelle stratégie de changement durable ?
Première publication pp. 21-49 in : ROUISSI Soufiane, PORTES Lidwine & STULIC Ana (dir.), Dispositifs numériques pour l'enseignement à l'université. Le recours au numérique pour enseigner les langues, les littératures et civilisations étrangères, Paris : L’Harmattan, 2017, 204 p.
PUREN_2017b_Stratégie_changement_durable
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Résumé

 

Après avoir présenté les concepts mobilisés dans cet article ("changement durable" versus "innovation", "culture", "culture numérique") et le contexte actuel (une "nouvelle culture didactique", une "nouvelle culture générale", et la "culture universitaire" actuelle en filière LLCE, "Langues, Littératures et Cultures Étrangères"), je propose dans cet article ce qui m'apparaît pour la pédagogie de cette filière comme "les sept piliers du changement durable". Je conclus que "pour la filière LLCE, la stratégie de changement durable, avec le recours systématique aux technologies numériques qu’elle implique désormais, ne sont pas un luxe qui pourrait être réservé aux universités jouant la carte de l’excellence ou aux enseignants passionnés de technologies nouvelles : c’est la condition à laquelle cette filière en tant que telle pourra continuer à défendre dans le monde actuel les valeurs humanistes dont elle se réclame depuis sa création. Cela exige que ses enseignants ne se cantonnent pas dans une attitude défensive, de rejet des évolutions et de réaction face aux menaces, mais qu’ils adoptent, comme le veut d’ailleurs la démarche de projet et la perspective actionnelle, une attitude proactive qui leur permette de devancer activement les évolutions à venir, de manière à peser sur elles quand il est encore temps. S’ils ne veulent pas finalement se voir imposer des solutions radicales inacceptables, il faut qu’ils intègrent dès à présent, dans leur stratégie collective de changement durable, des réflexions et des propositions sur deux éléments qui constituent en l’état deux énormes verrous culturels : l’absence d’évaluation des enseignants et les actuels concours de recrutement d’enseignants du secondaire."


Addendum en date du 1er octobre 2018

 

Commentaire à propos du billet de blog de Matthieu CISEL intitulé "MOOC : la révolution n’a pas eu lieu", 23 septembre 2018 (dernière consultation 29/09/2018)

 

L'auteur, qui a pourtant soutenu sa thèse sur les MOOC et intervient très régulièrement sur le site theconversation.com sur ce thème, se montre particulièrement critique, dans son dernier billet, sur la situation actuelle des MOOC, et il fait la liste les facteurs qui selon lui l'expliquent. Ci-dessous, une synthèse de ce texte sous forme de courts passages :

 - (...) il y a eu un défaut de réflexion stratégique sur les questions d’hybridation des MOOC avec les cursus académiques. Repenser les cursus, mutualiser une offre pour rationaliser l’investissement ? Cette préoccupation qui aurait dû être essentielle est passée au second plan.

- (...) on est restés dans une logique de formation synchrone, avec une date de début et une date de fin, et une faible visibilité sur la pérennité des projets.

- (...) Quelques institutions ont hybridé leurs propres MOOC et mutualisé les ressources entre les cursus. Néanmoins, rares sont celles qui ont intégré les MOOC d’autres établissements.

- (...) la plupart des MOOC ne sont que des vidéos avec des quiz (...).

- (...) la plupart des gens ont fini par se démobiliser. Il ne reste plus que quelques militants de la première heure pour continuer à organiser deux sessions par an. Mais jusqu’à quand ?

 

Et il conclut:

En somme, la situation n’est pas glorieuse, et je pense que l’absence de vision à long terme et la volonté de préserver le statu quo y sont pour beaucoup. Trop d’esbroufe – c’était à qui aurait le plus gros MOOC – et pas assez de réflexion sur ce que l’on pouvait changer dans notre enseignement supérieur. On a pensé à tort que l’on avait affaire à une révolution technologique, alors que c’était là une révolution organisationnelle potentielle, qui aurait permis de rationaliser la production de ressources pédagogiques et l’aménagement des cursus.

 

"Pas assez de réflexion sur ce que l’on pouvait changer dans notre enseignement supérieur", "c’était là une révolution organisationnelle potentielle" : je retrouve là le principe que je défends pour ma part depuis longtemps à propos des innovations aussi bien technologiques (comme les MOOC) que pédagogiques (comme la "classe inversée") : les innovations  ne produisent pas d'effets positifs en elles-mêmes; elles peuvent au contraire, en focalisant toute l'attention et en concentrant toute l'action sur elles, provoquer des simplifications régressives ; elles ne sont bénéfiques que dans la mesure où elle amènent à penser le changement de manière globale. Mais ce principe est appliqué dans ce texte à une "organisation" entendue au niveau macro de "l'organisation administrative" ;  il faut aussi penser le changement au niveau micro de "l'organisation didactique" - qui est ce qu'on appelle le "dispositif didactique" -, où se joue la relation fine entre le processus d'enseignement et le processus d’apprentissage. Par rapport à la complexité de ce qu'exige un "dispositif didactique" (cf. Le champ sémantique de l''environnement' en didactique des langues-cultures", Document 030), on pouvait déjà prévoir l'échec de ces MOOC qui ne proposaient, comme l'écrit Matthieu Cisel, "que des vidéos avec des quiz"...

 

A propos de l'échec prévisible des MOOC pour une autre raison, celle de leur non-prise en compte de la différenciation pédagogique, voir aussi, dans ma conférence "Innovation et changement en didactique des langues-cultures" (www.christianpuren.com/mes-travaux/2018c/), mon commentaire oral à la diapositive n° 27.

 

On peut trouver des idées pour l'intégration du numérique à l'université dans une démarche de changement global dans l'article publié le 26 septembre 2018 sur le site theconversation.com, "Des médialabs pour apprendre à 'être un média' », d'Emmanuel Vergès (enseignant en "culture numérique" à l'Université d'Aix-Marseille). Ces médialabs "sont portés par des communautés qui travaillent à changer la manière de produire et diffuser de l’information, qui se donnent un pouvoir d’agir et d’informer. Une place de plus en plus importante est accordée aux lecteurs qui deviennent contributeurs de la production de contenus." Ils sont très divers au point qu'il n'y a pas de définition commune possible, mais ils ont en commun :

- une caractéristique, qui est "la diversité des réponses que chacun apporte selon son propre contexte",

- "une ligne directrice  : se saisir de l’augmentation très forte des capacités de créativité quand on utilise en même temps l’informatique, les données numériques et les réseaux de communication",

- une préoccupation , qui est de dégager un "modèle durable",

- et un même "code source", composé de cinq principes :

1) Open : un lieu visible et accessible, connecté à son territoire.

2) Safe : un environnement convivial, à taille humaine, sans enjeux/libre d’accès, avec de l’accompagnement.

3) Share : favoriser les connexions de pairs-à-pairs à partir d’une facilitation humaine et l’appropriation du lieu par des communautés d’usagers.

4) Evaluation : autoriser les usagers à modifier et faire évoluer le projet.

5) Movement : faire évoluer les compétences et le fonctionnement de l’organisation.

 

Il y là, me semble-t-il, un ensemble d'acquis d'expérience dont pourraient s'inspirer les universitaires à la recherche d'un modèle de conception et de pilotage du changement durable adapté à leur université et à leur projet.Christian Puren, 30/09/2018