"L'inversion" un modèle de relation hétéronomie-autonomie indispensable en perspective actionnelle


J'ai publié depuis plusieurs années sur mon site (en Bibliothèque de travail, Document 022) un "méta-modèle complexe des relations entre deux pôles opposés" qui regroupe les modèles de relations que l'on peut concevoir, par exemple, entre les processus ou les cultures d'enseignement et d'apprentissage, entre l'hétéonomie et l'autonomie, entre l'hétéro-formation (à l'enseignement ou à la recherche) et l'autoformation.

 

Aux sept modèles de relation déjà pris en compte dans ce méta-modèle - le continuum, l'opposition, l'évolution, le contact, la dialogique, l'instrumentalisation et l'encadrement -, une nouvelle version de décembre 2023 ajoute un nouveau modèle, "l'inversion". C’est le modèle des vases communicants, mais inversé: plus de ceci d'un côté, moins de cela de l'autre, ou le contraire. Ce modèle est indispensable à la mise en œuvre de la pédagogie de projet :  la première tâche de projet, en effet, celle de la conception, doit être réalisée par les élèves de la manière la plus autonome possible parce que c’est la condition de leur engagement personnel dans la réalisation du projet qui est ainsi le leur. Or plus les élèves font jouer leur autonomie à ce moment-là – ils vont choisir, par exemple, une variante de projet différente de celle proposée dans le manuel ou préparée par l’enseignant –, plus ce dernier peut être amené à être directif pour la suite. Il va leur dire, par exemple : « Vous avez choisi tel projet sur telle thématique, c’est bien. Mais je sais que vous allez avoir besoin de travailler auparavant sur telle ou telle structure grammaticale, ou sur tel ou tel champ sémantique." Autre exemple: si les enseignants choisissent eux-mêmes toute la documentation de leur projet,  l'enseignant devra peut-être leur suggérer, ou leur proposer, voire leur imposer, tel ou tel document supplémentaire qu'il jugera alors indispensable.

 

J'aurais pu penser depuis longtemps à cet autre modèle de "l'inversion", puisqu'il se combine naturellement avec deux autres déjà intégrés précédemment dans mon méta-modèle, à savoir l'opposition (c'est l'opposition qui fait que l'augmentation du niveau de directivité fait mécaniquement baisser le niveau d'autonomie, et l'inverse), et l’évolution (l’autonomie des élèves ne peut augmenter que si l’enseignant diminue son niveau de directivité). Et aussi parce qu'on le retrouve dans des idées exprimées par certains pédagogues dans des passages que j'ai déjà cités par ailleurs (en particulier dans la conférence 2017c, qui porte précisément sur la pédagogie de projet: 

 

Philippe Perrenoud : « Le projet, un générateur de situations complexes » (Cahiers Pédagogiques n° 10, Janvier 2014. Paris : CRAP, pp. 21-23) :

 

Un projet entièrement conçu par le professeur ne sera pas acheté par les élèves. Mais il est peu probable qu'un projet proposé par les élèves rejoigne comme par miracle les objectifs de formation du professeur. Il importe donc d'engager une négociation, le professeur tirant le projet vers les apprentissages, les élèves vers la réussite, le plaisir, le jeu. Il n'y a aucune raison de ne pas faire de cette tension l'objet d'une réflexion commune. On peut imaginer un professeur qui ouvrirait une démarche de projet en définissant un cahier des charges ouvert [...]. (p. 23)

 

BORDALLO Isabelle & GINESTET Jean-Paul, Pour une pédagogie du projet, Paris: Hachette-Éducation, 1993, 192 p.  (cf. les deux dernières dérives qu'ils constatent dans la pédagogique de projet :

 

– La dérive productiviste

Le produit à fabriquer est plus important que les apprentissages visés. […]

– La dérive techniciste

La planification par l’enseignant est excessive. […] L’élève est l’exécutant d’un projet entièrement conçu par l’enseignant. […]

– La dérive spontanéiste

Le projet s’invente au fur et à mesure sans objectifs clairement définis au départ. […]

Si pour apprendre il faut un projet, avoir un projet ne suffit pas. Les périls sont nombreux: si l’enseignant met exclusivement l’accent sur les désirs des élèves, leur prise de responsabilité, il risque soit de concevoir un projet irréalisable, soit d’amuser les élèves avec un projet dans lequel ils ne vont rien apprendre.

S’il est particulièrement soucieux de rigueur ou de rentabilité, il a tendance à planifier toute la démarche, l’élève devient un O.S. (ouvrier spécialisé), et là aussi le bénéfice escompté au niveau des apprentissages laisse à désirer. (pp. 11-13)

 

A ces deux passages peuvent être ajoutés ici l'ensemble de mon article 2014d, dont le titre à lui seul exprime la combinaison entre les modèles de l'inversion et de l'opposition: contrôle vs. autonomie, contrôle et autonomie : deux dynamiques à la fois antagonistes et complémentaires".

 

La nouvelle version de ce méta-modèle, proposant huit modèles différents de relation, est donc désormais disponible au lien 022.