Manuels de langue et formation des enseignants


 

Ce titre correspond à trois documents différents élaborés à l'origine pour le séminaire de formation que j'ai animé du 13 au 16 juillet 2015 à l'Alliance français de la ville de Guatemala, pour le compte de l'IFAC (Institut Français d'Amérique Centrale) et au profit des Alliances françaises et des filières de FLE des Universités publiques de la région. Ce séminaire portait sur "La place de la méthode dans la construction de cours : de la bonne utilisation des méthodes FLE. Quels choix ? Quels recours ?"

Voir les trois documents ci-dessous. (mise en ligne 28 juillet 2015)

Leur lecture sera utilement complétée celle des deux textes suivants publiés postérieurement:

- 2020b. "Qualité des manuels, qualité de leur usage et qualité de la formation à leur usage".

- 2021b. "Manuels de langue : de la conception à l’utilisation. Schéma d’analyse de la problématique"

Notez enfin qu'une section "Manuels" est disponible dans la rubrique "Bibliographie" du site.


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Document n° 1 : Choix et usages des manuels de langue - Matrice de problématisation (T.P.)
Version du 10 mars 2016
PUREN_2015e_Matrice_problématisation_cho
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Document n° 2 : Référentiel qualité des manuels de FLE et de leurs usages
PUREN_2015e_Référentiel_qualité_manuels_
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Document n° 3 : Échelle des niveaux de compétence de l’enseignant dans l’utilisation de son manuel
PUREN_2015e_Echelle_niveaux_compétence_u
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Une version espagnole des documents 2 et 3 est disponible: voir 2015e-es.


Présentation commune

 

Dans la plupart des pays, le manuel est un outil professionnel incontournable pour la plupart des enseignants de langues. Et il est même souvent le seul matériel utilisé à la fois par les enseignants et les apprenants, de sorte qu'il constitue la seule base concrète du "contrat didactique" passé entre l'institution, l'enseignant et les apprenants, et qu'il est utilisé à ce titre, par les parents d'élèves, pour suivre le travail de leurs enfants. Dans certains pays, en outre, les nouveaux manuels officiels sont imposés aux enseignants parce qu'ils sont considérés comme le meilleur outil de formation continue des enseignants.

Dans la formation initiale universitaire des enseignants, pourtant, les manuels sont utilisés éventuellement pour illustrer les cours théoriques, les principales problématiques didactiques et les différentes approches, démarches et techniques méthodologiques, mais rarement pour donner aux futurs enseignants de langues une véritable formation pratique à leur usage.

Ces trois documents visent à replacer les manuels au cœur de la réflexion de la formation des enseignants de langues. L'échelle de compétence, en particulier (document n° 3) peut être utilisée comme grille d’évaluation/auto-évaluation de la compétence didactique d’un enseignant, et sans doute aussi (l’expérimentation correspondante reste à faire) comme modèle de progression et d'évaluation dans les cursus et stages de formation continue des enseignants de langues. Ce document n° 3 est à mettre en relation avec l'article 2020h intitulé « Une stratégie de formation didactique des enseignants dans leurs classes : la "recherche interventionnelle" sur l'usage adéquat des manuels ».


Premier addendum en date du 6 janvier 2016

 

A propos de : GOIGOUX Roland, CÈBE Sylvie, "Un autre rapport entre recherche, pratique et formation. Les instruments didactiques comme vecteur de transformation des pratiques des enseignants confrontés aux difficultés d'apprentissage des élèves". Conférence invitée en clôture du colloque du réseau international de Recherche en Education et Formation (REF), Université de Nantes, 19 juin 2009. https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00936348/document (dernière consultation 5 janvier 2017)

 

L'ensemble de cet article, signé de deux universitaires spécialistes, entre autres, de l'enseignement de la lecture en français langue maternelle, vient conforter la thèse que je défends concernant l'importance des manuels dans la relation enseignement-apprentissage, et par conséquent la nécessité de former les enseignants non seulement à leur analyse, mais aussi à leur usage, celui-ci étant le moyen le plus puissant, en définitive, de faire évoluer les conceptions et les pratiques d'enseignement.

 

Extraits :

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1.2.Changer les pratiques des enseignants pour changer leurs conceptions
[...]
Nous pensons, d’autre part, plus efficace d’agir directement sur les pratiques des enseignants pour modifier leurs conceptions, plutôt que l’inverse. C’est pourquoi nous nous efforçons de les améliorer en proposant aux enseignants de nouveaux outils cohérents avec les résultats de la recherche (le « souhaitable ») mais aussi compatibles avec leurs pratiques habituelles  (le « raisonnable »). Nous postulons que la prise en main de ces nouveaux outils est le vecteur de la transformation de leur pouvoir d’agir, donc de leur développement professionnel (Goigoux, Ria et Tockzek-Capelle, 2009). En effet, l’enseignement est une activité médiatisée par les instruments didactiques : leur évolution peut influencer l’activité des professeurs et modifier la manière dont ils prennent en charge les élèves les moins performants. Qu’il s’agisse du choix des tâches, de leur ordonnancement dans le temps ou de la mise en œuvre des moyens de leur réalisation, l’activité d’enseignement est donc largement tributaire des instruments  dont disposent les maîtres (Schneuwly et Plane, 2000). À ce titre, nous nous situons dans la perspective ouverte par Vygotski avec le concept d’acte instrumental (Vygotski, 1925/1994) pour étudier comment l’évolution des instruments influence l’activité des professeurs et provoque l’apparition, la disparition ou la recomposition de tâches didactiques au service, ou non, des élèves les moins performants.  (p. 2)

[...]

1.3. Des recherches sur l’usage et la conception d’instruments didactiques

Nos recherches présentent deux particularités. La première est de considérer que les objectifs didactiques et éducatifs des enseignants doivent occuper une place centrale dans l’analyse de leurs processus d’action. Nous étudions donc les interactions entre les maîtres et leurs élèves en prenant en compte la spécificité disciplinaire des apprentissages visés car nous faisons l’hypothèse que ceux-ci influent de manière décisive sur les situations qu’ils construisent et régulent, et sur les médiations qu’ils organisent entre les élèves et ces savoirs. (p. 2)
[...]
Notre manière de conduire nos recherches s’écarte donc de celle habituellement choisie en didactique du français où les artefacts sont élaborés en fonction des savoirs à enseigner et des apprentissages des élèves (cf. infra le schéma n° 1), sans prendre suffisamment en compte les savoir-faire et les conceptions des professeurs qui sont appelés à s’en servir (Goigoux, 2001). (p. 3)

Schéma n° 1

L’instrument est au centre du triangle didactique : sa conception exige de prendre simultanément en compte toutes les connaissances disponibles sur les savoirs en jeu, sur les élèves et leurs apprentissages ainsi que sur les professeurs appelés à l’utiliser (leurs conceptions et savoir-faire). (p. 3)

 


Second addendum en date du 21 août 2017

 

Les deux mêmes auteurs, Roland Goigoux et Sylvie Cèbe, ont publié en 2013  un ouvrage qui est à la fois un manuel d'enseignement de la lecture des textes narratifs, et un manuel d'autoformation pour les enseignants: Lectorino & Lectorinette. Apprendre à comprendre des textes narratifs. CE1-CE2, Paris: Editions Retz, 2013. Il s'agit donc d'un public d'élèves de 8-9 ans apprenant à lire en français langue maternelle.

 

Dans leur présentation, très détaillée et étayée par des références aux théories concernant l'apprentissage de la lecture, les auteurs reprennent les idées (et, comme on le verra, quelques passages) de leur conférence de 2009, qu'ils mettent en application dans cet ouvrage. Les 38 pages de cette présentation sont disponibles sur le site de l'éditeur  (dernière consultation 14 juillet 2017).

 

Ci-dessous, j'en reproduis un passage (pp. 6-7), où les auteurs expliquent précisément la relation qu'ils établissent entre l'usage des manuels et la formation des enseignants. Je partage entièrement les idées des auteurs sur la question :

 

- La conviction que, d'un point de vue stratégique, il est "plus efficace d’agir directement sur les pratiques des enseignants pour modifier leurs conceptions et leurs connaissances que l’inverse."

 

-  Le "postulat" que les manuels sont pour cette raison de puissants outils de formation des enseignants (cf. "Nous postulons que la prise en main de nouveaux outils est le vecteur de la modification de leur pouvoir d’agir, donc de leur développement professionnel").

 

- La nécessité de tenir compte, lorsque l'on introduit des innovations dans un manuel, du coût du changement pour les enseignants utilisateurs et de ses possibles effets négatifs (cf. "toute introduction d’une nouvelle activité s’accompagne d’une diminution voire d’une disparition d’autres composantes. Le résultat peut être parfois négatif lorsque la nouveauté ne compense pas les pertes qu’elle provoque.").

 

- La nécessité pour les auteurs d'un manuel d'avoir connaissance "des conceptions didactiques des enseignants, de leurs savoir-faire et de leurs pratiques d’enseignement habituelles", puisqu'ils détermineront l'usage qu'ils feront de ce manuel. Je souligne: ils sont plus respectueux des enseignants que beaucoup de didacticiens de FLE, qui, du haut de leur position de chercheurs universitaires, ne parlent que des "représentations" des praticiens. 

 

- L'intérêt, par conséquent, pour les auteurs d'un manuel, de disposer d'un "modèle de l'utilisateur" (cf. la dernière phrase de l'extrait).

 

Le tout premier article que j'ai publié au cours de ma carrière, en 1981 (1981a), abordait déjà la question: il s'intitulait "Des professeurs européens face aux méthodes françaises",  "méthodes" ayant là le sens de "manuels". Et dans le document n° 3 de la présente publication ("Échelle des niveaux de compétence de l’enseignant dans l’utilisation de son manuel"), je reprends la distinction entre la "méthodologie de référence", la "méthodologie d'élaboration" et la "méthodologie d'utilisation" des manuels (cf. p. 3), distinction que j'ai faite il y a longtemps (cf. en part. 2001h, "Outils et méthodologie d'analyse des manuels de langue. L'exemple des procédures d'enseignement/apprentissage de la grammaire" (pp. 9-12). 

 

Il ne m'a jamais été possible malheureusement, en tant que responsable ou conseiller sur des collections de manuels de langue (espagnol et français langues étrangères), de faire des recherches comparables à celles qu'ont pu réaliser les deux auteurs de cet ouvrage (cf. le dernier paragraphe de l'extrait ci-dessous). Elles seraient bien difficiles à réaliser, de toutes manières, pour des manuels de FLE d'emblée destinées au marché international. Par contre, lorsqu'il s'agit, sur place, de choisir un manuel et de former à l'usage de ce manuel, un tel "modèle de l'utilisateur" devrait être considéré comme indispensable.

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Notre expérience de formateurs-chercheurs nous a appris qu’il était plus efficace d’agir directement sur les pratiques des enseignants pour modifier leurs conceptions et leurs connaissances que l’inverse. Bref, il ne suffit pas que les enseignants soient informés ni même convaincus de la pertinence des résultats de la recherche pour qu’ils changent leurs manières de faire, et cela pour deux raisons :

 

- Entre la présentation desdits résultats (ou des principes d’action jugés pertinents) et leur mise en œuvre concrète dans la classe, il y a souvent un gouffre que peu de chercheurs aident à franchir, laissant aux enseignants (ou aux formateurs) le soin de réaliser eux-mêmes le travail de transposition et d’opérationnalisation.

 

- Les propositions portent, le plus souvent, sur des points précis et ceux qui les avancent ne tiennent pas suffisamment compte de la cohérence d’ensemble de la pédagogie des enseignants, des contraintes qui pèsent sur l’exercice de leur métier (organisation de la classe, gestion du collectif, hétérogénéité des élèves, programme à suivre, outils disponibles…), de leurs pratiques habituelles ou des conceptions dominantes dans leur profession. Or nous savons qu’une modification très locale peut entrer en contradiction avec l’économie générale du dispositif pédagogique élaboré par un enseignant. Par exemple, le temps d’enseignement n’étant pas extensible, toute introduction d’une nouvelle activité s’accompagne d’une diminution voire d’une disparition d’autres composantes. Le résultat peut être parfois négatif lorsque la nouveauté ne compense pas les pertes qu’elle provoque. Bref, un chercheur peut avoir raison localement et tort globalement.

 

Pour éviter ces deux écueils, nous avons entrepris depuis une quinzaine d’années de réaliser un travail de transposition des savoirs issus de la recherche en savoirs pour l’action. Nous pensons que les chercheurs ne peuvent pas déléguer entièrement cette tâche aux enseignants, même s’ils doivent la réaliser avec eux comme nous l’avons fait pour la conception de nos outils didactiques pour l’école maternelle (Phono, Catégo, Ordo, Scripto), l’école élémentaire et le collège (les 3 Lector).

 

Nous proposons donc des outils que nous invitons les maîtres à expérimenter dans leurs classes en vue de leur faire partager de nouvelles connaissances sur l’enseignement et de les amener à concevoir autrement les apprentissages de leurs élèves.

 

Nous postulons que la prise en main de nouveaux outils est le vecteur de la modification de leur pouvoir d’agir, donc de leur développement professionnel. Qu’il s’agisse du choix des tâches, de leur ordonnancement dans le temps ou de la mise en œuvre des moyens de leur réalisation, l’enseignement est largement tributaire des instruments dont disposent les maîtres. Leur évolution peut donc influencer l’activité des professeurs et modifier la manière dont ils guident les apprentissages de leurs élèves.

 

Lectorino & Lectorinette est le résultat d’un travail qui a associé deux chercheurs et de nombreux professeurs chevronnés. Nous savions qu’un tel outil, même s’il intégrait les connaissances scientifiques les plus récentes sur l’acte de lire et l’origine des difficultés des élèves, serait voué à l’échec s’il s’avérait trop éloigné des conceptions didactiques des enseignants, de leurs savoir-faire et de leurs pratiques d’enseignement habituelles. En d’autres termes, nous nous sommes efforcés de construire un nouvel outil qui soit le meilleur compromis possible entre les résultats de la recherche (le « souhaitable ») et les exigences du métier (le « raisonnable »). Pour cela, nous avons dû cerner le potentiel de développement des enseignants, potentiel que nous définissons comme l’intervalle entre ce qu’ils réalisent ordinairement et ce qu’ils peuvent réaliser en s’appropriant de nouveaux outils. Nous avons donc dû élaborer un modèle de l’utilisateur basé sur une analyse préalable de leur travail et sur leurs réactions à nos premières propositions concrètes.