À propos d'évaluation sommative/certificative en intercompréhension réceptive de l'oral

J'emprunte le titre de ce billet à celui d'un article sur « L’évaluation sommative/certificative en intercompréhension réceptive de l’oral »[1], dans lequel son auteure, Marie-Christine JAMET, propose d'évaluer le niveau des étudiants selon la difficulté de la tâche, le troisième critère qu'elle propose, après les contenus et les supports, étant « les activités cognitives des exercices de vérification ».

 

L'idée est déjà en soi surprenante, parce qu'elle laisse ainsi entendre que le critère d'évaluation serait le niveau de difficulté des exercices d'évaluation, et non celle des documents. Ce qu'il faut évaluer, ce sont les activités cognitives nécessaires à la compréhension des documents, et non celles nécessaires à la réalisation des exercices d'évaluation de ces documents. Or ce n'est pas forcément la même chose : on peut, sur des documents difficiles, proposer des exercices de compréhension faciles à comprendre et à réaliser, et l'inverse.

 

On se dit que c'est l'expression de l'auteure qui est peut-être ambiguë, et qu'il faudrait lire « les activités cognitives sur les documents demandées par les exercices de vérification ». L'analyse de ses propositions de progression, à la suite, invalide malheureusement cette hypothèse. Ce sont les suivantes :

 

– au niveau I, des exercices ne demandant que peu de réélaboration : repérage d’informations simples données par le questionnaire (avec QCM simple ou appariement) ;

 

– au niveau II, repérage d’informations plus fines suggérées par QCM ou questionnaire à réponse vide fermée/ouverte ;

 

– au niveau III, repérage libre d’informations (comme la prise de notes) ou QCM plus complexe avec des items qui impliquent une élaboration de l’information, ou questionnaire ouvert. (pp. 84-85)

 

Il s'agit bien, dans l'esprit de l'auteure, de la difficulté des exercices de compréhension : « QCM simple ou appariement au niveau 1 » ; QCM demandant « des réponses plus complexes » au niveau 2 ; QCM « plus complexe » au niveau 3.

 

La matrice méthodologique de référence de l'auteure est claire, et elle unique : il s'agit de l'approche communicative. Toutes les activités sur les documents, en effet, commencent par un repérage d'informations qui n’est ni motivé ni orienté par une action à réaliser, comme l'exigerait la perspective actionnelle. Écrire que la prise de notes correspond à un « repérage libre d'informations » est à ce propos très significatif. Une prise de notes s'opère en effet en fonction de ce que l'on veut faire ensuite de ces notes : elles ne sont « libres » que du point de vue de l'auteur des exercices d'évaluation : c'est ce même point de vue qui explique, comme nous l’avons vu plus haut, que la progression envisagée du niveau de difficulté soit celle de ces exercices.

 

Sont demandées dans un deuxième temps une « réélaboration » (niveau 1) ou une « élaboration » (niveau 3) de l'information. Ces deux notions suscitent au moins trois remarques :

 

– Quelle est la différence entre ces deux notions ? Intuitivement, on assignerait une difficulté plus grande à la « réélaboration » qu'à l' « élaboration » ; mais c'est la « réélaboration » qui est placée par l’auteure au niveau 1.

 

– Pourquoi le niveau 2 ne comporte-t-il pas d'activité de (ré)élaboration ? Si on considère qu’un critère est pertinent au niveau 1 et au niveau 3, cela implique qu’il l’est aussi au niveau 2, parce qu'on a forcément postulé qu’il existe pour ce critère un « continuum de difficulté », pour reprendre la formule utilisée par les experts de PISA.

 

– Mais surtout, qu'entend exactement l'auteure par "(ré)élaboration" ? En approche communicative, la notion d'"élaboration" peut se comprendre comme l'opération qui consiste à sélectionner, réorganiser et reformuler les informations repérées de manière à pouvoir gérer efficacement une situation de communication proposée. Mais il ne s'agit plus alors de compréhension, il s'agit de production.  Quoi qu'il en soit, on se demande quelle "réélaboration" peut bien être effectuée dans un exercice de compréhension au moyen d'un "QCM simple ou appariement" (niveau 1).

 

 

Quand on a lu en outre, au début de l'article, que ces propositions d'évaluation s'inspirent directement de ce que proposent « les certifications unilingues » (p. 84), on se dit que la réflexion sur « l’évaluation sommative/certificative en intercompréhension réceptive de l’oral » demande encore sérieusement à être approfondie ; que l' « éducation plurilingue et pluriculturelle », dont l'auteur se réclame sans doute comme la revue où est publié son article (elle s'appelle Educazione Linguistica), que cette éducation ne parvient décidément pas à s'opérationnaliser, et qu'elle n'y parviendra sûrement pas sans « sortir » du CECR et de l'approche communicative[2].

 



[1] JAMET Marie-Christine, « L’évaluation sommative/certificative en intercompréhension réceptive de l’oral », pp. 65-90 in DE CARLO Maddalena (dir.), « Recherches sur les compétences en intercompréhension. Développements du projet Miriadi », EL.LE Educazione Linguistica, vol. 8, n° 1, mars 2019, https://edizionicafoscari.unive.it/media/pdf/journals/elle/2019/1/iss-8-1-2019.pdf (dernière consultation 18/02/2020).

[2] Cf. Maurer B. & Puren C., CECR : par ici la sortie !, Editions des Archives Contemporaines, décembre 2019. Disponible en ligne : https://eac.ac/books/9782813003522.