"Pédagogie différenciée", "apprentissage autonome" et "différenciation didactique"

Depuis la publication des outils du Programme de Coopération Européenne (PCE) LINGUA A dont j'ai assuré la direction pédagogique en 1997-2000 (Livrets d'autoformation et de formation en français, anglais, portugais et italien accompagnant 44 exemples de séances de classe vidéoscopées, 2001l-0), ainsi que des différents articles auxquels ce travail a donné lieu (1998e, 2001d, 2001k, 2002d, 2003a), j'ai eu à trois reprises l'occasion de revenir sur cette problématique dans mon Blog-Notes :
09 septembre 2013 : "Pédagogie différenciée : un utile "pense-bête" sur le site du Café pédagogique" ;
9 février 2017 : "Différenciation de l'enseignement, différenciation de l'apprentissage" ;
17 juin 2017 : "Différenciation de l'enseignement, différenciation de l'apprentissage" (bis).
Je viens par ailleurs de publier (09 janvier 2018) en "Bibliothèque de travail", Document 068, un T.P. pour enseignants (avec ses suggestions d'interprétation), et un formulaire d'enquête pour chercheurs et/ou formateurs (avec ses suggestions de traitement) visant faire émerger et interroger les conceptions que l'on a en tant qu'enseignant de la relation entre les processus d'enseignement et le processus d'apprentissage. C'est en effet forcément de la conception de cette relation que va dépendre la conception que l'on se fait de la différenciation.
A l'occasion d'une prochaine intervention (17 janvier prochain 2018) dans un stage de la DAFOR de Paris de Paris (Délégation Académique de la FORmation) intitulé "Hétérogénéité et différenciation pédagogique", j'ai eu l'occasion de réfléchir à nouveau sur la modélisation possible des différentes conceptions de la différenciation. Le titre même de cette formation illustre bien quelle est la tradition français bien enracinée en ce qui concerne la relation enseignement-apprentissage...
 
1) La "pédagogie différenciée", comme son nom l'indique (le pédagogue, c'est l'enseignant) correspond à une conception de la différenciation orientée enseignement, à la différenciation de l'enseignement. C'est l'enseignant qui prend en charge la différenciation en proposant à ses élèves, individuellement et par groupes, des dispositifs où l'apprentissage se fait sur des objectifs, des contenus, des tâches et/ou des supports différents, et/ou avec des méthodes, des aides et/ou des guidages différents : c'est en majeure partie sur ces différents éléments possibles de différenciation de l'enseignement que j'avais construit au départ la grille de sélection et d'analyse des séquences vidéoscopées du PCE sur la pédagogie différenciée. J'avais dû rajouter après-coup, en "Thèmes transversaux", la rubrique "Autonomisation", tellement ce thème apparaissait clairement illustré dans de nombreux enregistrements...
 
2) L'"apprentissage autonome", qui est l'équivalent de la pédagogie différenciée dans les pays anglo-saxons et du nord de l'Europe, correspond à une conception de la différenciation orientée apprentissage, à la différenciation de l'apprentissage. On considère que c'est chaque apprenant qui est le mieux à même de savoir comment il veut personnellement apprendre, et l'enseignant lui aménage par conséquent - avec s'il le faut le guidage et l'aide nécessaires, bien entendu - des moments de travail autonome. Plusieurs séquences vidéo du PCE montrent des élèves travaillant seuls, individuellement ou en groupe. Dans l'une d'elles, l'enseignante "visitée" se promène dans la classe en parlant tout fort à sa collègue "visiteuse" pendant que ses élèves se consacrent à leurs activités personnelles...
 
3) Ce que je propose d'appeler la "différenciation didactique" - en prenant didactique dans le sens qu'a maintenant cet adjectif, qui renvoie au processus conjoint d'enseignement-apprentissage -, c'est ce qui correspond au positionnement "intermédiaire" sur le continuum entre les deux bornes extrêmes de la centration sur l'enseignement et de la centration sur l'apprentissage : c'est la différenciation de l'enseignement-apprentissage. Tout l'enjeu de la réflexion sur la colonne centrale du questionnaire du T.P. et de l'enquête est de faire émerger la conception que l'on a de ce positionnement, lequel, au-delà de la conception de la différenciation, reflète donc la conception que l'on se fait de la discipline "didactique des langues-cultures" elle-même, puisque l'objet de celle-ci est la relation complexe entre le processus d'enseignement et le processus d'apprentissage (cf. la définition proposée de la discipline au premier chapitre du cours sur "La didactique des langues comme domaine de recherche", chap. 1.1. "Une définition de la DLC", pp. 2-4).
 
On se reportera sur cette question de l'interprétation de la "colonne centrale" au point 4, p. 2, du document "Conceptions de la relation enseignement-apprentissage (corrigé du T.P. et commentaires)", disponible sur la page à l'adresse du Document 068 en Bibliothèque de travail. Les éléments de cette colonne, tels qu'ils sont décrits, intègrent les deux processus parfois dans un compromis entre les deux, parfois dans une alternance entre l'un et l'autre. Elle est situé, dans les tableaux, juste entre les deux processus opposées, dans un positionnement "intermédiaire", mais les qualificatifs qui définissent cet intermédiaire, ce n'est donc ni "central", ni "neutre" (= ni l'un ni l'autre), ni "équilibré", ni "idéal", mais "médiateur", dans le sens qu'a ce terme en sociologie, c'est-à-dire qui prend en compte à parts égales les besoins et les demandes de chacune des parties, paradoxalement de manière à la fois empathique et distanciée. Autrement dit, la réflexion didactique, par définition - celle de la discipline correspondante, qui se veut complexe -, intègre dans son objet les processus d'enseignement et d'apprentissage en les considérant à la fois comme opposés et complémentaires.
 
Le T.P. et l'enquête visent à faire émerger des conceptions, et non représentations de la relation enseignement-apprentissage. Cette distinction est essentielle, et le choix du concept de "conception" s'explique par la définition de la didactique des langues-cultures comme discipline d'intervention, c'est-à-dire d'action. Sur cette question, voir le Document 045 en Bibliothèque de travail "Composantes sémantiques du concept de 'conception' [de l'action]", et mon billet de blog en date du 04 mai 2011 qui critique l'usage aussi généralisé qu'abusif du concept de "représentation" dans les travaux de beaucoup de didacticiens de langues-cultures.