Francis Dubet : "Après le virus", il faudra utiliser le temps de "l'école à l'école" "d'abord pour (y) faire quelque chose"


Sur le site des Cahiers pédagogiques, François Dubet, sociologue de l'éducation, publie en date du 20 avril 2020un article intitulé "Après le virus, l'école sera-t-elle comme avant ?", où il se pose les questions suivantes:

 

Pendant la « continuité pédagogique », l’école n’est plus ce qu’elle était. Qu’en restera-t-il « après », quand le déconfinement aura permis que les élèves se retrouvent en présence de leurs enseignants ? L’école reprendra-t-elle « comme avant » ?

 

Le chapitre suivant que je reproduis en totalité, intitulé "Faire à l'école", résonne avec un écho particulier quand on le lit en pensant à la perspective actionnelle. 

 

« FAIRE » À L’ÉCOLE

Mais comme l’école connectée n’est pas l’école, comme elle instruit sans éduquer, le temps de « l’école à l’école » pourrait être utilisé pour faire autre chose, et d’abord pour faire quelque chose. Rappelons que pour la majorité des collégiens, des lycéens et des étudiants français, l’essentiel du temps scolaire consiste à prendre des notes, à apprendre des leçons et à se préparer aux évaluations. Le travail collectif reste extrêmement rare ; les élèves français travaillent seuls dans la mesure où ils apprennent d’abord pour être évalués et classés.

 

De ce point de vue, les élèves ne font rien ou pas grand chose : ils apprennent les sciences mais n’en font pas beaucoup ; ils apprennent la littérature mais n’écrivent pas et ne font pas de théâtre ; ils doivent avoir des idées mais n’en discutent pas. Non seulement l’idée de faire quelque chose n’est pas très vivante dans la culture scolaire française, mais elle a du mal à se couler dans le module homogène de la classe. Alors, elle est souvent renvoyée au « périscolaire » et au seul enthousiasme des enseignants.

 

La classe, la prise de notes et l’interrogation pèsent d’autant plus qu’elles semblent être seules en mesure de conduire les meilleurs élèves vers l’excellence des « voies royales ». Le travail commun, l’activité partagée, la pratique, sont alors réservés aux élèves les plus faibles, ceux qu’il faut motiver et qui sont en difficultés, ceux qui feront quelque chose dans les filières technologiques et professionnelles. Ceux qui occuperont demain les emplois peu valorisés dont le confinement démontrent qu’ils sont aussi nécessaires à notre survie et à notre vie commune que ceux des « premiers de cordées » qui sont aussi d’anciens « premiers de la classe ». Faire quelque chose à l’école, et quelque chose ensemble, permettrait aux élèves de découvrir des talents, des compétences et des métiers que l’école ignore et méprise parfois.

 

Les élèves ont besoin de « l’école à l’école » parce qu’elle est un espace de vie indispensable. Mais la vie juvénile s’y déroule à l’ombre de la vie scolaire plus que dans la vie « normale » de l’école, de la même manière que la vie étudiante reste, en France, très largement indifférente au fonctionnement des institutions et des associations universitaires. Aussi, n’est-il pas certain que les élèves et les jeunes Français fassent l’expérience des fonctionnements et des valeurs démocratiques dans le monde scolaire. Comparées aux attitudes des autres jeunesses européennes, leur défiance envers les autres et les institutions et leur très faible confiance en eux démontreraient plutôt que l’affichage des valeurs démocratiques n’est pas une expérience scolaire partagée.

 

L'enseignement des langues vivantes étrangères, où la perspective actionnelle a été officiellement introduite depuis maintenant une quinzaine d'années, n'est pas à priori le moins bien placé pour relever ce défi.