Un exemple du fonctionnement systémique du modèle des composantes de la compétence culturelle


J'ai reçu d'un lecteur de mon site, qui fait travailler ses étudiants sur les composantes de la compétence culturelle, une question concernant "la diversité culturelle et le vivre ensemble" pour laquelle ils ont comparé deux mouvements populaires protestataires, celui des Gilets jaunes en France et celui du Hirak en Algérie, en aboutissant à la conclusion de "la nécessité pour coexister pacifiquement, de respecter l'autre culture, les emblèmes de l'autre, etc." La question de ce collègue est si l'on peut "considérer ce thème comme faisant partie de la composante transculturelle ou de la composante co-culturelle".

 

La réponse à la question posée par ce collègue me semble une bonne illustration de ce mode de fonctionnement des modèles, et c'est pourquoi, avec son accord, je publie ci-dessous la réponse que je viens de lui envoyer, que j'ai légèrement reprise et développée.

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Votre message me permet d'illustrer de manière concrète le fonctionnement de ce "modèle" des différentes composantes de la compétence culturelle. C'est un "modèle" dans le sens qu'a ce mot lorsque l'on parle d'un "modèle systémique" (voir PUREN 014). Il ne s'agit pas de cases fixes à remplir, mais d'un mécanisme dynamique constitué d'éléments simples (les différentes composantes) que l'on va faire "fonctionner" (cf. les différentes "fonctions" du modèle dans le texte référencé ci-dessus) pour reconstituer la complexité de la réalité. Si cette réalité est complexe, c'est en particulier parce qu'elle dépend toujours fortement de l'environnement (cf. "Les composantes de la complexité (PUREN 046), et c'est pourquoi le modèle doit être réorganisé à chaque fois en conséquence.

 

- Dans votre projet sur "la diversité culturelle et le vivre ensemble", je suppose que la diversité culturelle est considérée comme devant être mise au service du vivre ensemble. Par conséquent ce projet est centré sur la composante pluriculturelle, qui y est la composante privilégiée. Elle relève des attitudes et comportements, comme le respect des emblèmes de l'autre, que vous citez justement en exemple.

 

Mais vous vous souvenez sans doute de cette "expérience mentale" que j'ai présentée dans plusieurs articles, sous cette forme ou une autre (par exemple encore tout récemment dans l'article intitulé "La compétence culturelle et ses composantes interculturelle et co-culturelle", PUREN 2021d, point 5 p. 7) :

 

Pour être culturellement compétent dans un travail de longue durée avec des personnes d’autres cultures, il faut impérativement :

(1) s’être créé ou avoir adopté une culture d’action commune (composante co-culturelle).

Mais cela aide aussi :

(2) de bien connaître la culture des autres (composante métaculturelle) ;

(3) d’avoir pris de la distance par rapport à sa propre culture et être attentif aux incompréhensions et mauvaises interprétations toujours possibles d’une culture à l’autre (composante interculturelle) ;

(4) de s’être mis d’accord sur des attitudes et comportements acceptables par tous (composante pluriculturelle) ;

(5) de partager des finalités et des valeurs au-delà du seul domaine professionnel (composante transculturelle).

 

Si vous commencez par "Pour être culturellement compétent en tant que citoyen d'une société multiculturelle...", c'est le (4) du tableau ci-dessus qui va devenir le (1) de votre nouveau tableau. C'est alors en effet, dans la compétence culturelle, la composante pluriculturelle qui est la compétence minimale requise, le "niveau-seuil de compétence culturelle nécessaire dans cette situation sociale", pour parler en termes didactiques.

 

Mais si vous avez une conception plus exigeante de ce que doit être une société - c'est le cas dans la philosophie politique française traditionnelle - comme un ensemble cohérent de citoyens partageant un même ensemble de valeurs qui leur permet de "faire société" ensemble, d'avoir le même "projet de société", alors il y a deux composantes privilégiées simultanément: c'est non seulement la composante pluriculturelle (pour le vivre ensemble) mais aussi et même d'abord la composante co-culturelle (pour le faire ensemble). La composante transculturelle que vous citez est dans les deux cas  une aide importante (comme toutes les autres composantes, en l'occurrence les composantes trans- et métaculturelle), mais ce sont les deux premières, pluri- et co-culturelles qui sont alors "centrales" et donc "stratégiques" : ce seront par conséquent celles qui devront être affichées et visées par exemple dans des campagnes publiques de sensibilisation à la citoyenneté partagée, et dans le travail quotidien d'éducation des enseignants.

 

Le point d'équilibre choisi au sein de la combinaison entre le vivre (dans la même société) ensemble et le faire (société) ensemble est un élément central de tout consensus national démocratique. Dans la tradition anglo-saxonne, par exemple, ce point est beaucoup plus proche du vivre ensemble - on y admet le rôle important des "communautés" que dans la tradition française, tellement orientée vers le "faire ensemble" que le mot "communautarisme" y a une connotation négative, celle du mot plus "politiquement correct" choisi par l'actuel gouvernement français, celui de "séparatisme".

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