À propos des nécessaires approches multi- et pluriméthodologiques, dans la recherche en didactique des langues-cultures comme dans leur enseignement

L'ATIEF, Association des Technologies de l’Information pour l’Éducation et la Formation, a mis en ligne en mai 2020 un "Avis du Conseil d'Administration" protestant contre les prétentions du CSEN (Conseil Scientifique de l’Éducation Nationale) à imposer dans la recherche la seule méthode de l'expérimentation contrôlée, qui imposerait, comme elle l'écrit justement un "réductionnisme scientifique".

On lira avec intérêt ce texte (au besoin, le visualiser sur mon site). J'y retrouve pour ma part les grandes orientations de ce que l'appelle une "didactique complexe des langues-cultures" (cf. mon manifeste 2003b): reconnaissance de l'importance des acteurs (élèves et enseignants) avec leur subjectivité ; attention aux pratiques et usages réels des enseignants, dont la  compétence est conçue en tant que capacité à gérer la variété et variabilité de leurs environnements ; refus de l'applicationnisme, enfin référence à l'épistémologie de la complexité, et - c'est la raison de la référence à ce texte dans le présent billet de blog - affirmation de la nécessité du recours à des méthodologies de recherche différentes.

 

Il en est de même en didactique des langues-cultures: sur les approches multi- et pluriméthodologiques dans l'enseignement des langues-cultures, cf. sur ce site le document 073 "Matrices méthodologiques actuellement disponibles en didactique des langues-cultures (tableau). Un outil au service des approches multi- et pluriméthodologiques" .

Cela fait longtemps qu'au Canada, où la recherche est pourtant très influencée par les conceptions nord-américaine, est apparue la même revendication d'une approche multi- et/ou pluriméthodologique. Thierry KARSENTI, Professeur à l'Université de Montréal et Directeur du Centre de recherche interuniversitaire sur la formation et la profession enseignante, CRIFPE, ainsi publié dans la revue Formation et profession d'octobre 2006 un article intitulé "Pragmatisme et méthodologie de recherche en sciences de l’éducation : passons à la version 3.0", Formation et Profession, octobre 2006. Sa revendication d'éclectisme méthodologique se limite à la combinaison des approches quantitative et qualitative, mais on sait que cette dernière, en réalité, se décline en de multiples méthodes différentes (documentaire, historique, comparative, recherche-action, recherche-application...) et se réalise au sein de dispositifs très variés (cf. ma modélisation croisant les axes objet-sujet et compréhension-intervention, Cours "Méthodologie de la recherche en DLC, Chapitre 5, p. 3).

Extraits de l'article de Th. KARSENTI:


[...] la recherche en éducation était jadis dominée par les méthodes dites "quantitatives" qui incitaient le chercheur à commencer une recherche avec des hypothèses, puis à chercher à les valider ou à les invalider. C’est ce que je nommerais la version 1.0 des méthodes de recherche en sciences de l’éducation. La version 2.0 est arrivée avec une option supplémentaire, celle de pouvoir choisir entre la recherche quantitative et la recherche qualitative, dont l’application en sciences de l’éducation s’est surtout accélérée après le milieu des années 1980.
[...]
Selon moi, tout chercheur ou apprenti chercheur en sciences de l’éducation doit impérativement passer à la version 3.0 de la méthodologie de recherche.La version 3.0, ce n’est pas l’imposition de la méthodologie mixte. C’est plutôt la possibilité de choisir, de façon éclectique, les méthodes de collecte de données qui pourront être utilisées en fonction du problème ou des objectifs de recherche. Dans certains cas, l’approche quantitative unique sera peut-être la meilleure; dans d’autres, ce sera l’approche qualitative. Mais, souvent, ce pourrait aussi être une méthodologie mixte, à condition évidemment qu’elle soit articulée de façon rigoureuse, raisonnée, cohérente et harmonieuse, et ce, en fonction de l’objectif de la recherche. Dans ce cas, pour prétendre aux méthodes mixtes dans un projet de recherche, il faudrait nécessairement avoir apprivoisé les méthodologies qualitatives et quantitatives et, donc, faire doublement preuve de rigueur. (p. 4)


Ce que Th. KARSENTI appelle la "version 3.0" correspond à la fois à l'approche multiméthodologique (cf. les méthodes de collecte de données qui pourront être utilisées en fonction du problème ou des objectifs de recherche) et à l'approche pluriméthodologique (la "méthodologie mixte").