L’évolution des constructions méthodologiques sur le modèle d’évolution des perspectives internes de la dlc : méthodologie -> didactique -> didactologie


 "8 ans après..." : préface en date du 27 octobre 2020

 

Le billet de Blog-Notes ci-dessous date du 16 octobre 2012 mais n'a jamais été disponible sur mon site en raison d'une erreur de date au moment de son enregistrement, et je viens seulement de m'en rendre compte. Je le republie maintenant, le 23 octobre 2020, huit ans plus tard et 20 ans après la publication du CECR, pour les deux raisons suivantes :

 

1) Parce que l'idée d'une évolution historique des méthodologies constituées se réalisant en parallèle avec la maturation épistémologique de la discipline « didactique des langues-cultures » (perspectives méthodologique -> didactique -> didactologique) me semble toujours pertinente : au sein des configurations didactiques qui apparaissent lorsque s'imposent un nouvel objectif social et une nouvelle situation sociale de référence (cf. le Document 029 et la première référence citée p. 3 de ce document, 2012f), les méthodologies se construisent en empruntant leurs matériaux aux modèles linguistique, cognitif, culturel et pédagogique de l'époque, mais aussi, de manière logique, en fonction de la conception du moment de la discipline, en l'occurrence en fonction de la perspective disciplinaire alors dominante : voir en fin de ce billet de blog le tableau présentant ce parallélisme.

 

2) Parce que dans ce billet de 2012 je faisais un certain nombre d'analyses et de prévisions concernant l'élaboration de la perspective actionnelle, sur lesquelles il est possible maintenant de faire le point :

 

 – du point de vue rétrospectif, sur les vingt années passées depuis la publication du CECR (2001) ; il me semble possible de dégager sinon trois phases très clairement distinctes, du moins trois stratégies différentes au cours de cette élaboration telle que je peux la reconstituer à partir de mes publications tout au long de ces années,

 

– et du point de vue prospectif, sur les prévisions que je faisais à ce moment-là dans ce billet, ce qui s’est réellement passé, et les prévisions que je peux faire maintenant.

 

Ces deux points de vue sont repris dans la conclusion d'un article publié fin novembre 2020, « Retour réflexif sur vingt ans d’élaboration de la perspective actionnelle : quatre stratégies différentes », 2020f.

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 Billet du  16 octobre 2012

 

Un collègue formateur m'a récemment écrit pour me demander si le concept de « noyau dur méthodologique » était ou non pertinent pour décrire la perspective actionnelle (et si oui, quel était-il ?). J’ai constamment utilisé en effet ce concept pour décrire les cohérences des méthodologies traditionnelle, directe, active, audio-orale et audiovisuelle. On pourra faire une recherche sur l’expression « noyau dur » dans la version numérisée d’Histoire des méthodologies (1988a) ; ou consulter la présentation des différents schémas correspondants dans l’Essai sur l’éclectisme (1994e, pp. 151-155) ; ou encore se reporter, dans mon cours « La didactique des langues comme domaine de recherche », dans le Dossier n° 2 consacré à « La perspective méthodologique » : le chapitre 2 y est consacré à ces noyaux durs (pp. 5-11), avec l’ajout d’une schématisation du noyau dur de l’approche cognitive (chap. 2.4., pp. 9-11).

 

On lira ci-dessous, réécrit pour l’occasion, le contenu de la réponse que j’ai faite à ce collègue, et qui m'a amené à expliciter – ce que je n'avais pas fait dans mes publications jusqu'à présent, je pense – la relation entre l'évolution des méthodologies, et celle de la discipline (du moins en ce concerne le FLE) par le passage de la perspective méthodologique, jusqu’à la fin des années 1960, à une perspective méta-méthodologique, à savoir la perspective didactique, au début des années 1970, puis au début des années 1980 à une perspective méta-didactique, à savoir la perspective didactologique.

 

Cette évolution a été présentée pour la première fois dans un article de 1994 intitulé « Quelques remarques sur l'évolution des conceptions formatives en français langue étrangère de 1925 à 1975 » (1994a). On pourra aussi consulter, dans mon cours « La didactique des langues-cultures comme domaine de recherche », le Dossier n° 1  intitulé précisément « Les trois perspectives constitutives de la didactique des langues-cultures ». Les lecteurs pressés ou qui veulent simplement réactiver leurs souvenirs pourront se contenter du schéma reproduit sur mon site dans la rubrique « Bibliothèque de travail », Document 002, dans lequel chaque perspective est illustrée d’exemples d’activités s’y rattachant.

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Le concept de « noyau dur méthodologique » ne peut pas être pertinent pour décrire la perspective actionnelle, ni telle qu’elle est actuellement, en cours d’élaboration, ni sans doute dans les années qui viennent, parce que la cohérence du processus d'enseignement-apprentissage n’y est plus conçue dans une perspective méthodologique, ni même didactique, mais dans une perspective didactologique, celle de la finalité de formation des apprenants comme des acteurs sociaux.

 

La perspective actionnelle ne peut donc être construite ni décrite comme une méthodologie constituée. Elle n'a d’ailleurs pas été annoncée comme telle dans le CECRL, que ce soit dans sa présentation succincte (p. 15 de l’édition française Didier de 2001)» ou dans le reste de ce document, les auteurs ayant choisi de ne prendre aucune position méthodologique. Sage décision, parce que les années suivantes leur auraient donné tort, pendant lesquelles la perspective actionnelle s’est construite en opposition avec l’approche communicative dont on voit bien, à l’analyse de leurs descripteurs de compétence, qu’elle était encore leur seule référence méthodologique.

 

Cette absence de principes méthodologiques spécifiques dans les fondements de la perspective actionnelle explique sa très grande ouverture a priori dans ce domaine : tout procédé, démarche ou approche ont vocation à y être mis en œuvre du moment qu’ils sont mis au service de cette finalité. Au niveau micro-méthodologique – le niveau des « méthodes » dans le sens que je donne à ce concept, celui d’unités minimales de cohérence méthodologique (voir le même dossier 4 de mon cours cité plus haut, ou les Documents 04 à 08 en Bibliothèque de travail) –, la méthode massivement privilégiée sera forcément la méthode active, mais c’était déjà le cas, du moins en principe, dans l’approche communicative, dans la « méthodologie active » (méthodologie officielle dans l’enseignement scolaire français des langues des années 1920 aux années 1960), et auparavant dans la méthodologie directe, où la méthode active faisait déjà partie du noyau dur avec les méthodes directe et orale (cf., dans Histoire des méthodologies, le schéma de la p. 121 et la présentation des formes de mise en œuvre de cette méthode au chap. 2.2.3, pp 131-136).

 

La cohérence de l'approche communicative, quant à elle, s’était construite dans une perspective didactique, à savoir à partir des objectifs (cf. l’importance de l'analyse des besoins langagiers dans les Niveaux-seuils) et d’un série de modèles : le modèle pédagogique de la « centration sur l’apprenant », le modèle linguistique de la grammaire notionnelle-fonctionnelle, et un modèle très abstrait mais prégnant, celui de l'opérateur « inter », que l'on retrouve dans les concepts-clés « interaction », « interculturel » et « interlangue"[1]. Or avec les objectifs et les modèles, on est dans l'élaboration première de l'approche communicative au moyen d'éléments qui font pour moi partie du champ de la perspective didactique : cf. mon schéma du Document 044.

 

On retrouve la perspective principalement mobilisée dans les appellations elles-mêmes :

 

– « méthodologie directe » : directe fait référence à un choix méthodologique, celui d’éviter au maximum le recours à l’intermédiaire de la L1 en classe ;

 

– « méthodologie active » : active fait référence à toutes les formes de mise en œuvre de la méthode active (cf. Document 006);

 

– « approche communicative » : communicative fait référence à l’objectif de compétence de communication ;

 

– « perspective actionnelle » : actionnelle fait référence à la finalité de formation d’un acteur social.

 

On peut résumer cette évolution parallèle dans le tableau suivant.

 

Périodes

Perspective disciplinaire

dominante

Construction

méthodologique

années 1900-1970 

perspective méthodologique

méthodologies directe, active, audio-orale et audiovisuelle

années 1970-1990 

perspective didactique

approche communicative

années 2000- ?

perspective didactologique

perspective actionnelle

 

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Christian Puren, octobre 2012

 


[1] Je traite la question de l’ « inter » et des autres opérateurs logiques que l’on rencontre dans l’histoire de la didactique et des méthodologies dans une conférence en ligne présentée sous forme textuelle : 2010i.